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02/10/2005

Langues régionales : l'urgence d'un changement

Les récentes déclarations de Patrick Le Lay sur la Bretagne et la langue bretonne m'ont incité à rééditer cet article écrit au début de cette année pour la rubrique "J'ai fait un rêve" de la revue Alternatives Non-violentes, mais non publié parce que trop long... Ce texte est donc uniquement en français. Bonne lecture et n'hésitez pas à commenter !

1998, la France signe la charte européenne des langues minoritaires... Vous avez bien lu : 1998. Il ne s’agirait donc pas d’un rêve, mais d’une réalité, et bien non. Contrairement à presque presque tous les autres Etats de l’Union européenne la France n’applique toujours la charte européenne des langues minoritaires... Les langues bretonne, basque, corse, alsacienne, occitane, catalane, flamande, n’ont toujours pas de statut officiel en France, ni les langues parlées dans les Dom-Tom.

La charte européenne des langues minoritaires a été signée par Lionel Jospin, alors premier ministre mais renvoyée par Jacques Chirac devant le Conseil constitutionnel qui a déclaré cette signature non conforme à la Constitution. Et depuis, rien. Si, 20.000 personnes (1) dans les rues de Rennes, en mars 2003 pour demander cette ratification et la modification de la Constitution qu’elle implique. Dans l’indifférence totales des médias nationaux...

“Ne gomzan ket mui breton bemdez...”
“Ne gomzan ket mui breton bemdez, memes ar re gozh a gav gwell komz galleg etreze breman. Met me, me vourra muioc’h komz breton evit galleg” : “Je ne parle plus breton tous les jours, même les anciens préfèrent parler français entre eux aujourd’hui. Mais je préfère parler breton que parler français”... Ainsi s’exprime Germaine, une femme de Crac’h, commune du Morbihan, près d’Auray. Âgée de 68 ans, elle a appris le breton à la maison, dans son village, et le français à l’école, où sa langue maternelle était interdite. Ce cas est extrêmement fréquent parmi les Bretons d'origine rurale de sa génération.

Si Germaine n’a plus l’occasion de parler chaque jour, elle peut encore écouter la radio ou regarder la télé. Oui mais voilà, les médias publics lui proposent une émission d’une heure à la télé le dimanche (à la même heure que la messe!) et cinq minutes d’actualité chaque jour... Dans le Morbihan, seule une radio associative, mais subventionnée par la région, le département et l’Etat, propose des programmes breton-français. Dans la presse : un reportage par semaine dans le quotidien Le Télégramme, une leçon de breton le dimanche dans Ouest-France...

10.000 bretonnants meurent chaque année
Chaque année, 10.000 personnes bretonnantes de langue maternelle meurent. Il reste aujourd’hui environ 250.000 personnes capables de s’exprimer couramment dans cette langue contre 1.200.000 en 1945. Il s’agit surtout de personnes âgées. 9.000 enfants sont scolarisés;en 2004-2005 dans les filières bilingues créées depuis 25 ans par les parents : bilingue public, bilingue privé et écoles associatives (gratuites et laïques) Diwan.

La pédagogie par immersion (100 % en breton au départ) a motivé le refus d’intégration de Diwan dans l’Education nationale par le conseil d’Etat en 2002, malgré le soutien du ministre de l’Education de l’époque, Jack Lang. Pourtant, Diwan existe depuis 25 ans et les résultats de ses élèves sont plutôt supérieurs à la moyenne... Bizarre non ? Pendant des décennies des dizaines de milliers de Bretons ont intégré l’école française (publique ou privée) sans connaître un mot de français, ont été immergés dans une langue qui leur était étrangère, mais cela n’a guère posé de problème de conscience aux élites françaises. Dans le sens contraire, cela semble en poser... Car si les citoyens français sont égaux en droit (censément), ce n’est pas le cas des langues parlées sur le territoire de la République française et cette inégalité de traitement revient, finalement, à une inégalité citoyenne.

Passer de deux langues à une : un progrès ?
De mon côté, mes grands-parents étaient bretonnants de langue maternelle. Mais ils avaient bien compris que le français étaient la langue de la promotion sociale (toute les institutions le leur assénaient). Le breton était (et est encore), stigmatisé comme arriéré et inférieur. Beaucoup de Bretons ont intégré ce regard méprisant et colonial posé sur leur propre langue. Objectif des autorités : éradiquer les langues “régionales”. Elles y sont (presque) parvenu, refusant de signer, par ailleurs, certains textes internationaux de protection des minorités linguistiques (2). La transmission familiale ne se fait quasiment plus et les enfants qui apprennent le breton aujourd’hui le font à l’école... Mes grands-parents parlaient donc couramment deux langues dans leur vie quotidienne. Mes parents et moi en parlons une seule.
C’est le progrès, sans doute.

Depuis mon retour en terre bretonne, en l’an 2000, j’ai appris le breton, et je continue d’apprendre. Pour moi, c’est aussi une résistance non-violente face à un arbitraire d’Etat. Je n’ai jamais pu admettre l’attitude e la République française qui, à mes yeux, trahit ses propres valeurs en agissant ainsi; ni celles de beaucoup de Bretons eux-mêmes qui, dans leur grande majorité, se sont soumis à l’autorité. Ils n’ont pas pris conscience, ou pas voulu prendre conscience, de la perte culturelle que représente l’abandon de leur langue maternelle, parlée depuis 1.500 ans dans cette partie ouest de la Bretagne. Perte culturelle pour eux-mêmes, mais pour l’humanité entière car une langue qui disparaît est une part de notre richesse culturelle mondiale qui meurt.

Un préfet du Morbihan écrivait en 1831 : “Faire mourir une langue, c’est faire disparaître une individualité de la famille des nations ; c’est détruire une système d’entendement, un caractère national, des moeurs, une littérature. La philosophie et la morale condamnent également cet espèce de meurtre”. Ce préfet n’a pas été entendu. Quant au meurtre en question, un mot a été inventé depuis pour le qualifier : “ethnocide”.

Environ 6.000 langues parlées dans le monde
Un livre publié l’année dernière, “Ces langues, ces voix qui meurent” (3), établit un parallèle intéressant entre la perte de la diversité biologique et la disparition des langues. Environ 6.000 langues sont parlées actuellement dans le monde. La moitié est menacée de disparition dans le siècle actuel. Beaucoup ne sont plus parlées que par quelques individus (langues aborigènes d’Australie, d’Amérindiens du Nord ou du Sud, d’Afrique). Le breton est classé parmi les langues menacées par l’Unesco.

Notre mode vie actuel tend à une uniformisation culturelle rapide vers le modèle étasunien (pour aller vite). Les défenseurs de la langue française qui, parfois, combattent les arguments des partisans des langues dites régionales, ne voient pas que ces derniers défendent une vraie diversité culturelle vivante. Quand la République française, par la voie du président Chirac en particulier, défend “l’exception culturelle”, elle ne défend en fait que la langue française, pas les autres. Les autorités se gardent bien de promouvoir la diversité linguistique à l’intérieur de l’Hexagone.

En Bretagne, l’oppression linguistique a été mise en place depuis environ deux siècles. La royauté avait bien instauré le français comme langue officielle, mais sans chercher à l’imposer à tous les sujets. Au XIXe déjà, des débats ont lieu sur l’intérêt de l’emploi du breton à l’école, notamment pour enseigner le français aux masses bretonnantes... Mais la voie du bilinguisme n’a pas été choisie. C’est l’unilinguisme qu’ont imposé les élus, notamment dans l’Education nationale. Interdit de parler breton à l’école sous peine d’humiliation. Interdit d’enseigner le catéchisme en breton, sous peine de représailles administratives pour les prêtres. Impossibilité de monter dans l’ascenseur social avec la seule langue bretonne...

Une opposition diverses, mais constante
L’opposition à cette politique s’est manifestée sur le terrain politique, éducatif et religieux. Depuis le début du XXe siècle, des élus et organisations politiques demandent l’introduction du breton à l’école. Peine perdue. Cette cause était alors soutenue par des mouvement régionalistes proches de la droite monarchiste et catholique. Mais, à gauche, des instituteurs ont créé le mouvement Ar Falz dans les années 30 pour promouvoir le breton dans les écoles laïques. L’église catholique, de son côté, soutient l’usage de la langue bretonne pour éviter la contamination des idées républicaines ! Et puis l’abandonne quand elle sent que cela ne sert plus ses intérêts...

Juste avant la Seconde guerre mondiale, et dans les années 50, des élus reviennent à la charge, dont René Pleven (qui fut chef du gouvernement sous la IVe république). En 1953 une première loi autorise des cours facultatifs de langues régionales dans les établissements secondaires publiques. Première avancée, mais insuffisante. Face aux changements rapides de société, au déclin de la vie rurale, à l’urbanisation, le breton régresse rapidement. Aucune place ne lui est faite, quasiment, dans les médias publics. Il faut attendre les années 80 pour voir apparaître des radios associatives bilingues, ou unilingues en breton. Idem pour les écoles. A chaque fois, ce sont des groupes de citoyennes et citoyens qui se mobilisent, relayés par une partie des élus locaux. Ils veulent le bilinguisme et le construisent à leur niveau : primaire, secondaire, universitaire. Mais l’absence de reconnaissance officielle de la langue, et le manque d’environnement en breton (médias), entravent leur action.

L’erreur de la collaboration et de la violence
La vigueur d’autres pans de la culture, comme la danse, la musique, ne rejaillit pas forcément sur la pratique de la langue. Ce sont parfois des mondes qui s’ignorent... La langue bretonne apparaît, pour beaucoup de Bretons, comme dépassée, comme une langue dont ils approuvent théoriquement l’existence, comme un patrimoine, mais qu’ils ont renoncé à parler. Deux épisodes historiques n’aident pas à clarifier le débat : la collusion d’une grande partie des mouvements bretons avec l’occupant allemand pendant la seconde guerre mondiale (certains mouvements avaient déjà viré fascistes dès les années 30). Mais la collaboration massive de l’appareil d’Etat français avec les Allemands à cette époque, discrédite-t-elle la langue française ? Des grammairiens ont continué de travailler à l’unification de la langue bretonne pendant l’occupation, certes... Mais l’Académie française a-t-elle arrêté ses travaux pendant cette période ? Aucune institution française n’a, à ma connaissance, arrêté ses activités sous l’occupation...

Et puis il y a les périodes de revendications violentes des années 60-70 des FLB-ARB (Front de Libération de la Bretagne, Armée révolutionnaire bretonne). Ces groupuscules, soutenus par une minorité de la population, jugeaient légitime de recourir à l’action violente pour faire valoir les droits culturels et politiques des Bretons. Certains revendiquaient l’indépendance. Le recours à la violence n’est approuvé que par une minorité de la population bretonne. Il m’est arrivé cependant plusieurs fois cependant d’entendre cette phrase : “Si nous faisions comme les Corses, nous obtiendrions plus de chose”. Et il est vrai que, actuellement, l’offre d’enseignement de la langue corse est pratiquement généralisée, ce qui est très loin d’être le cas ici. L’offre en langue bretonne régresse même dans le secondaire. Les promesses faites par les ministres passent, et chaque rentrée réserve son lot de classes bilingues non-ouvertes malgré les demandes à cause du manque d’enseignants formés, de crédits, etc. Quant aux filières optionnelles, elles ne sont pas mieux loties.

Le centralisme jacobin menacé
L’Etat républicain semble parfois être plus à l’écoute des manifestations violentes que des manifestations non-violentes. Ainsi, il encourage la violence. Car si la démocratie est la loi de la majorité, elle est aussi l’aménagement du droit des minorités. Faute de quoi elle risque de devenir une dictature majoritaire en contradiction avec l’esprit et la lettre des droits de l’Homme.

La signature et l’application de la Charte européenne des langues minoritaires donneraient une reconnaissance et une légitimité aux langues régionales. La non-reconnaissance, au contraire, donne des arguments aux organisations hostiles à la République française, minoritaires mais agissantes. Le modèle français s’est construit sur un schéma communautaire : une seule langue, un seul peuple, une seule histoire, une seule organisation politique centralisée pour tout le territoire métropolitain... L’existence des langues régionales, et le fait de les parler, n’est pas une menace en soi pour la République française. Ce que la signature de la charte européenne, ou l’intégration de Diwan, menaceraient, par contre, c’est un modèle français uniformisant et un centralisme jacobin exacerbé.

La différence linguistique : une “sauvagerie ?”
“Qu’on vous soit différent suppose/par obligation qu’on ait tort” chantait Maxime Le Forestier (4) dans les années 70. La France des droits de l’Homme a bien du mal à intégrer les différences, et cela ne date pas d’aujourd’hui. “La différence linguistique condamne l’Autre à être le sauvage” (5). Suis-je un “sauvage” quand je parle ou j’écris en breton ? J’en ai l’impression parfois, dans le regard ou les réflexions de certains de mes amis, ou de relations.

Pourtant l’apprentissage et la découverte de la langue bretonne est un passionnant parcours de connaissance linguistique, littéraire, mais surtout humain. Le fait de parler, écrire, lire, le breton, m’oblige aussi à ouvrir les yeux et à être le témoin d’un processus triste : la mort possible d’une langue. Que faut-il faire pour sauver le malade ? Le conseil régional, pour la première fois, vient de lancer un plan de sauvetage de la langue. L'actuel président, Jean-Yves Le Drian (PS) a fait beaucoup de promesses dans ce domaine lors de la campagne électorale.

L’application de la charte européenne des langues minoritaires par la République française fait aussi partie des remèdes (mais ce n’est pas le seul). Elle aiderait aussi la communauté nationale française à changer. A porter un autre regard sur ses minorités linguistiques. A approfondir le droit à la différence dans le respect de la République française et européenne. Cette Europe ou tant de langues dites “régionales” (le gallois, l’écossais, le galicien, le catalan, le basque...) ont désormais un statut officiel. Mais un grand village gaulois, replier sur lui-même, résiste encore.

Christian Le Meut

(1) A l’échelle de la France, cela aurait représenté 300.000 manifestants...
(2) La France n’a pas ratifié l’article 27 du pacte international sur les droits civils et politique, ni l’article 30 de la convention des droits de l’enfants, ni la convention cadre européenne sur les minorités nationales, ni donc la charte européenne des langues minoritaires...
(3) “Ces langues, ces voix qui disparaissent”, Daniel Nettle-Suzanne Romaine, ed. Autrement, 19 €.
(4) Chanson “La vie d’un homme”
(5) “Ces langues...”, p. 63.


Suggestions de lectures :
- “Linguistique et colonialisme”, Louis-Jean Calvet, petite bibliothèque Payot, 2002.
- “Halte à la mort des langues” (2002), et “Le souffle de la langue, voies et destins des parlers d’Europe” (1992), Claude Hagège, éditions Odile Jacob.
- “Le français, histoire d’un dialecte devenu langue”, R. Anthony Lodge, Fayard, 1997.

28/09/2005

Emile Masson (1869 - 1923) : "professeur de liberté" et précurseur de la non-violence

Qui était Emile Masson ? Écrivain, poète, penseur libertaire, anarchiste et socialiste, pacifiste et non-violent, écologiste et féministe avant l’heure, pédagogue d'avant-garde, défenseur de la langue bretonne : la liste est longue des qualités de cet homme là, injustement oublié et que plusieurs ouvrages font redécouvrir.


Emile Masson est né en 1869 à Brest et mort à Pontivy en 1923. En 1898, il habite à Rennes où le capitaine Dreyfus est jugé. Il prend sa défense avec son ami Charles Péguy, dont il s’écartera quand celui-ci virera vers le nationalisme. Jeune enseignant, Emile Masson monte des universités populaires pour instruire les ouvriers et les paysans, passe le Nouvel an avec une famille d’ouvrier, au grand dam de la bonne société de Loudun, ville où il enseigne à l’époque. Il se marie en 1902, avec une Galloise, Elsie, très proche de ses idées et admiratrice, comme lui, du penseur britannique John Ruskin. Elsie et Emile Masson traduisent en français les oeuvres et lettre du poète britannique Carlyle (1795-1881).

Une maison ouverte
En 1904, le couple emménage à Pontivy, ville qu’ils ne quitteront plus. Là, Emile Masson enseigne l’anglais à ses élèves. Il a dans ses classes les enfants de la bourgeoisie pontyvienne, externes et francophones, et ceux de la paysannerie des environs, bretonnants de langue maternelle pour beaucoup et internes qui s’intègrent difficilement dans le lycée publique qui pratique la pédagogie par immersion, en français exclusivement... C’est à leur contact qu’Emile Masson apprend le breton, en échange de cours particulier d’anglais, et se révolte face à la situation faite à la langue bretonne.

Dans les actes d'un colloque consacré à Masson en 2003, à Pontivy, John P. Clark, professeur de philosophie à la Nouvelle Orléans, estime que "La question de la préservation des langues traditionnelles est centrale pour Masson. Il rejette l'idée d'un progrès qui décrèterait une uniformité universalisante et soutient que les révolutionnaires doivent parler le langage du peuple qui, dit-il, a été stupidement laissé aux réactionnaires" (1). A l'époque, en effet, les défenseurs du breton se situe plutôt du côté de l'Eglise et des conservateurs. Masson ne veut pas leur laisser la langue bretonne mais l'utiliser pour faire avancer ses idées de progrès social, de dignité humaine, de fraternité. "La langue d'un peuple, c'est la peau de son âme" écrit-il en 1913. Cela n'empêche pas ce polyglotte de soutenir la diffusion de l'espéranto, langue internationale créée quelques années auparavant.

La maison est ouverte et Emile Masson s’occupe de ses deux enfants : un père de famille qui change les couches de ses deux garçons, s'occupe du ménage, cela ne devait pas être très fréquent à l’époque. Il conçoit le mariage comme une "fusion des âmes", un accord volontaire, et non obligatoire, entre "deux personnes égales et libres". Professeur, ses méthodes sont originales pour l’époque. Il est proche de ses élèves, pratique une pédagogie trilingue (français, anglais, breton) et obtient de bons résultats. La hiérarchie le laisse donc faire... Pédagogue, il refuse la violence mais pas la notion d’autorité : “Dans la société future, sans dieux ni maîtres, que se passera-t’il ? L’absolu liberté des individualistes, c’est l’oppression assurée des plus faibles, car qui croit à l’harmonie spontanée entre les hommes ?”. "Hiérarchies et anarchie ne sont pas pour moi inconciliables - au contraire !... Il suffit que les héros soient de vrais héros, c’est-à-dire n’éprouvent pas le besoin anti-héroïque de traiter les hommes en choses”...

Les origines de la guerre par Masson
Masson, qui refuse de voter, critique fondamentalement la société capitaliste et militariste de son époque, en des termes encore pertinents aujourd’hui : “Chaque nation est comparable à un enclos gardé par des soldats où des accapareurs entassent toutes sortes de richesses et même les êtres humains qui produisent ces richesses. L’intérêt de ceux qui dominent et qui accaparent est de maintenir et de fortifier leur puissance. Le moyen le plus sûr et le moins dangereux pour eux-mêmes, c’est de représenter les hommes des nations voisines comme des êtres arriérés animés de desseins les plus pervers , ou bien d’essence humaine tout à fait inférieure moralement. Quand les hommes d’une nation quelconque sont persuadés que ceux de la nation voisine sont des espèces de fauves affamés de proies vivantes ou des bandits qui n’ont d’autres raisons ou moyens de vivre que le crime, l’agression, le vol... Il est bien naturel qu’ils se mettent en garde contre ces fauves, ces bandits, et même en devoir de les pourchasser jusque chez eux...” (extrait de ”Irlande et Bretagne, écrit en 1916”, cité dans "Emile Masson, professeur de liberté").

Ami de Péguy, Romain Rolland, Kropotkine...
Correspondant avec des écrivains comme Charles Péguy et Romain Rolland, des intellectuels libertaires comme le prince Kropoktine, Marcel Martinet et Gustave Hervé, et des écrivains bretons comme Fransez Vallé, l’abbé Le Goff ou Loeiz Herrieu, il décide, en 1913, de créer une revue bilingue, Brug ("bruyère"), afin de sensibiliser les masses bretonnantes du Morbihan aux idées nouvelles (socialistes, libertaires...). Il réunit un réseau de collaborateurs écrivant en breton. Les articles de Brug, publiés en plusieurs dialectes du breton (le vannetais, le trégorrois...) traitent de la condition ouvrière et paysanne de l'époque, du statut de la langue bretonne, du statut de la femme. Brug est un succès : de 500 exemplaires au départ, la revue tire bientôt à 2.200 exemplaires quand arrive la guerre de 1914, qui signe la fin de cette expérience. A l’époque, rares étaient les intellectuels républicains et laîcs à s’adresser en breton aux gens du peuple. Brug manifestait un attachement double, à la “petite nation”, la Bretagne, et à sa langue, d’une part, et à la “France” de la révolution de 1789, d’autre part.

Contrairement à beaucoup de ses amis, comme Gustave Hervé, Emile Masson ne rallie pas L’Union sacrée en 1914 et continue à dire son opposition à la guerre : disciple de Tolstoï, il poursuit sa correspondance avec Romain Rolland, célèbre écrivain qui publie des appels à la paix et contre les nationalismes armés, en pleine guerre. "Je sais que les armées alliées sont pleine d'âmes nôbles qui veulent mourir pour que la vie vaille la peine d'être vécue. Mais je n'ignore pas que de telles âmes ne manquent pas non plus dans les rangs ennemis.(...). Est-ce que la guerre qui oblige à s'entre-tuer des hommes pareils n'est pas le pire des crimes ?", écrit-il en 1917 (2).
Malade à partir de 1909 (neurasthénie), Emile Masson ne peut pas continuer son action une fois la guerre terminée. Lucide, il ne cède pas aux sirènes de la révolution bolchevique de 1917 en Russie. “Ce qui naît de la violence périra dans la violence”, pense-t-il. Il estime que la révolution commence par soi-même et que c’est par la maîtrise de soi, par l'exemple et par la pédagogie, que la société peut progresser.

Proche de la pensée gandhienne
Dans le même temps, Gandhi mène une lutte non-violente pour l’indépendance de l’Inde et la justice sociale. Né la même année que le Mahatma Gandhi, Emile Masson meurt en 1923, année où Romain Rolland publie un essai qui rendra célèbre la personnalité et la pensée de Gandhi dans le monde entier. Tombées dans l’oubli, la vie et l’oeuvre de Masson renaissent aujourd’hui et alimentent des réflexions encore contemporaines sur la fin et les moyens, sur la pédagogie et le rapport à l'enfant, sur le nationalisme et l’internationalisme, sur la révolution et le progrès, les langues régionales...

Masson lançait aux révolutionnaires de “rentrer chez eux” et que la révolution “c’est toi”. La révolution commence d’abord par soi-même : il rejoignait en cela la pensée de Gandhi. Il écrivait le 16 janvier 1915, dans une note destinée à ses fils : “Je place les vertus domestiques au sommet de toutes les vertus, en temps de guerre aussi bien qu’en temps de paix. Car c’est au feu du foyer, et non à celui du champs de bataille, que s’épanouit la fleur de l’héroïsme. Il m’a toujours paru qu’il fallait infiniment plus de courage pour élever un homme que pour en abattre dix”. Et, la même année, dans une lettre à son ami le poète André Spire : “La guerre, le meurtre, la violence ne résolvent rien. Seul l’exemple, mille et mille fois répété, d’énergies individuelles se refusant à tout acte de violence, peut et doit résoudre toutes les batailles de l’homme”.

"Fais-toi toi-même ce que tu voudrais que les autres soient. Tu voudrais que la justice règne ? Fais de toi un juste..." clame Emile Masson, en 1917, pendant le grand massacre.

Christian Le Meut

Bibliographie sommaire :
- Un dra bennag a zo da jeñch er bed, Emile Masson ha Brug, 1913-1914, Fañch Broudig, Ed. Brud nevez, 2003. Interesus bras. Fañch Boudig n'eus studiet ar sonjoù embannet get Brug; e fin e levr e kaver pennadoù embannet barzh Brug.
- Emile Masson, professeur de liberté, J-D. et M. Giraud, Ed. Canope, 1991. La biographie à lire absolument pour découvrir la vie d'Emile Masson.
- Emile Masson, prophète et rebelle, Presse universitaire de Rennes, 2005, actes d'un colloque qui s'est tenu à Pontivy en 2003. Vient en complément utile du premier.
Des ouvrages de Masson devraient être réédités prochainement par les Presses Universitaires de Rennes.

(1) Cité dans Emile Masson, prophète et rebelle, p.111.
(2) Cité dans Emile Masson, prophète et rebelle, p.63.

 

26/09/2005

Lulu, 14 ans

Lulu, tu es née voici 14 ans, le 26 septembre 1991.

Depuis cette date plusieurs anciens de la famille sont partis. Du côté de ton père, la totalité de tes arrières grands-parents étaient bretonnants de langue maternelle. De ces bretonnants qui disaient “piar” pour quatre, un tï pour dire maison ou ur “c’hï” pour un chien. Ils parlaient ce breton vannetais de la côte, avec une accent bien particulier, que plus beaucoup de gens ne parlent désormais dans leur deux communes d’origine, Crac’h et Ploemel. Toi, Lulu, tu ne parles pas le breton, et tu as sûrement beaucoup plus de notion d’anglais, de latin et d’espagnol que de notions de la langue de tes ancêtres. Il paraît que c'est normal. La langue bretonne est, ici encore, en Bretagne, largement mise à l'écart du système scolaire (hormis les écoles bilingues qui se développent heureusement). Il est encore cependant, du côté de Crac’h, Ploemel et Auray quelques personnes qui font de la résistance, qui parlent encore le breton ou l’apprennent. 7.000 pour le pays d’Auray, d'après les chiffres. Mais on n'entend plus beaucoup parler breton dans les rues de Crac'h, alors que c'était la langue majoritaire il y a une soixantaine d'année encore...
Il y a quatorze ans, Lulu, je ne parlais pas breton, juste quelques bribes. J’ai appris depuis, j’en suis bien content, et je continue d’apprendre. Je n’aime pas qu’on ait cherché à me couper de la langue maternelle de mes quatre grands-parents.


Crac'h, Auray, Vannes, et après ?
Il y a quatorze ans , Lulu, tu es née à Auray. Tes grands-parents paternels sont nés à Crac’h juste avant la guerre. Ta grand mère au centre bourg, fille de commerçant, et ton grand-père à Kerchican, juste en bas du bourg, chez les moins riches. Kerchican, quel nom. En breton, “chikannal”, c’est se quereller, se disputer, se bagarrer. Les gens de ce village étaient-ils particulièrement querelleurs ? En aurions-nous hérité quelque chose ? Mystère.
Ton père puis toi, Lulu, êtes nés à Auray quelques décennies plus tard mais désormais les bébés de Crac’h ne naissent plus à Auray, mais à Vannes. Il faut regrouper les maternités pour faire des économies. Mais quelle est la prochaine étape ? Rennes, Nantes, Paris, la lune ?... Les mamans restent désormais le moins longtemps possible dans les maternités, aussi pour des raisons d’économie. J’ai même lu dans la presse qu’un projet est en cours pour n’accueillir les femmes enceintes qu’une journée en maternité. Elles seraient préparées avant puis raccompagnées à la maison tout de suite après l’accouchement. Tels qu’on est là, on va bientôt réhabiliter l’accouchement à la maison et la boucle sera bouclée... Pourquoi pas, après tout, si cela se fait dans les conditions maximum de sécurité, et pas pour des raisons vilement budgétaires. Car l’Etat ferme des plus en plus de petits hôpitaux qui étaient répartis sur tout le territoire, soi-disant pour faire des économies. Mais des économies, je trouve qu’il y a d’autres endroits ou en faire, notamment du côté des dépenses militaires. Là-dessus, je n’ai pas varié depuis 14 ans, ma Lulu...


Balkans : de la guerre à l'incertitude
Quand tu es née, je n’étais pas à Auray, ni en Bretagne, ni en France, pour t’accueillir. J’étais parti en reportage en Yougoslavie, ou une guerre commençait. En Slovénie et en Croatie, pour être précis. J’étais allé y rencontrer des gens et des associations qui essayaient encore de parler de paix. Position difficile, car la guerre n’est pas que l’ennemi de la paix, elle est aussi l’ennemi de la liberté d’opinion, de la liberté d’expression, l’ennemi de la démocratie et de l’intelligence. Quatorze ans plus tard, la Slovénie vient d’intégrer l’Union européenne. La Croatie y aspire... Mais quel avenir pour les autres Etats issus de la Yougoslavie, comme la Bosnie, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine, le Kosovo ?... Des milliers de soldats européens y stationnent pour tenter de maintenir une paix fragile, mais ils risquent de devoir rester très longtemps car cette région demeure une poudrière, notamment le Kosovo. Que les militaires servent à maintenir le cessez-le-feu et une sorte de paix, très bien. Mais cela ne suffit pas pour construire un avenir de paix. Pour cela, il faut des accords politiques entre gouvernements, un développement économique, du temps. Le Kosovo, par exemple, fait toujours partie officiellement de la fédération Serbie-Monténégro, mais la majorité des Kosovards, albanais d’origine, veulent l’indépendance... Et pour nous, ici, en Europe de l’Ouest, quel avenir ? La construction européenne est stoppée depuis le vote négatif au texte de constitution européenne... Voter non était une chose, mais quel projet cela porte-t-il ? Les choses ne sont pas claires là non plus...

Game Boy : à la poubelle !
Il y a quatorze ans, ma Lulu, je n’avais jamais vu de ma vie une “game boy”, et ne m’en portait pas plus mal. Aujourd’hui ces petites boîtes sont devenues les jeux préférés de millions d’enfants et d’adolescents fascinés par ce qui se passe sur de minuscules écrans. Je n’ai jamais joué à la “game boy”. Mais quand je te parle, Lulu, et que tu ne lèves même pas la paupière pour me regarder et m’écouter tellement tu es fascinée par ton jeu, j’ai envie de la mettre à la poubelle, ta game-boy.
C’est pareil pour la télé. J’ai beaucoup regardé le petit écran durant mon enfance et je sais qu’on y perd beaucoup de temps à regarder des émissions trop souvent vides d’intérêt. La télé est une forme de drogue, une drogue dure. Bien sûr, il y a des émissions intéressantes, quelques-unes, sur des ghettos comme Arte, la Cinquième, voire sur le service public... Mais la tendance dominante est à une télé réalité qui prône la compétition à tout crin, l’allégeance à des modes artificielles, à des stéréotypes totalitaires, à la consommation à outrance, au divertissement permanent au détriment de la découverte de la vraie vie...
L’été dernier, Lulu, tu as été enthousiasmée par une série télévisée appelée Dolmen. Les dolmen y étaient plutôt des menhirs et l’histoire était du genre frelatée. Mais quand je t’ai proposé de venir voir de vrais menhirs, de vrais dolmen, cairns et tumulus à quelques kilomètres, à Locmariaquer, mademoiselle a préféré rester jouer avec sa game boy...
Je n’ai que quarante ans et des poussières, Lulu. Bon, c’est probablement déjà très vieux à tes yeux... Mais j’ai compris que les appareils, les games boys, télévision, ordinateurs et autres, ne sont que des morceaux de plastics avec un peu d’électronique dedans, et de l’électricité. Ils n’ont pas de cœurs, pas d’expérience de la vie, pas de mémoire familiale, pas d’humour ni de tendresse, ni aucun sentiment. Une machine reste une machine et nous, nous sommes des êtres humains. Nous, toi, moi, tes parents, ta soeurs, ta famille, tes amis, et même tes profs... Nulle machine ne peut nous remplacer. J’ai appris aussi qu’aucun écran, qu’il soit de télévision, d’ordinateur ou de cinéma ne te montrera mieux la beauté de la vie et du monde, que tes propres yeux. Alors ne vivons pas nos vies par procuration devant nos postes de télévision, comme dit le chanteur, Jean-Jacques Goldman, en l’occurence.


Une goal de 80 ans !
L’été passé, j’ai joué au football. Déjà, ce n’est pas fréquent mais là, en plus, j’avais comme goal dans mon équipe une mamie de 80 ans. Tu te rends compte ? 80 ans. Bon, elle ne courrait pas beaucoup, mais quelle énergie, quelle “begon”, quand même. J’espère, quand j’aurais 80 ans, être capable de jouer au foot comme ça, avec toi, qui sait... Et j’espère que toi aussi, arrivée à ce bel âge, tu pourras également tenir les buts. Je te le souhaite, ma Lulu.
Gros bisous, et bon anniversaire.
14 ans ! Bizkoazh kement all !

Christian

Photo (C.L.M.) : Lulu, quelques mois après sa naissance, en train de manger un pissenlit.

Lulu, 14 vloaz !

Lulu : te zo ganet pewarzek vloaz zo, an c’hwec’h arnugent a Viz Gwenholon 1991. Piarzeg vloaz, neuze. Me lâr “piar” peogwir e vez lâret mod-se koste Krac’h, parrez a orin da dad, ma breur, ha me. Piar ha pas pevar pe pouar evel ma vez lâret e lec’hioù all... Met bon, n’eus ket mui kalz a dud a gomz brezhoneg e Krac’h, get an doare bourrapl se da zistag. Razh ma zud kozh a gomze brezhoneg a vihan, ha galleg ivez met te, Lulu, gouzout a res un tammig saozneg, latineg ha spagnoleg met ne gomzes ket yezh da gourdadoù na yezh da donton karet, me. Un dra boutin, “normal” eo, sanset... Met muioc’h mui a vugale a zesk brezhoneg er skol, eurusamant.
Ganet out bet piarzeg vloaz zo neuze, ma Lulu. Abaoe ar bloaz se, ma mamm gozh ha ma zad kozh, brezhonegerioñ anezhe, zo aet kuit. Da dud kuñv. Ha traoù all 'deus chanjet. Tri ugent vloaz zo ar bouponned a zeue war an douar er ger, sikouret get ur medisinour pe un amiegez, pe get tud ar vro. Ma zud, da dud kozh, zo ganet e Krac’h. Ma mamm e kreiz ar vourc’h, ha ma zad e Kerchikan, ur geriadenn tost d’ar vourc’h... Kerchikan, nag un anv drol. Marteze, tud ar geriadenn se en em chikane alies... Hag e tennomp dezhe ?


Krac'h, An Alré, Gwened... hag al lerc'h ?
Goude an eil brezel bed ar mammoù oa bet kaset d’en ospital en Alre. Da dad zo ganet du hont ha te, Lulu ivez. Met echu eo, serret eo bet ar stal se ha, bremañ, emañ monet betek Gwened... Krac’h, An Alre, Gwened, hag ar lerc’h ? Roazhon, Naoned, Paris ?... Serret vez muioc’h mui a ospitalioù bihan evit nompass fondiñ re a argant get ar Stad... Ha paseet vez nebeutoc’h nebeut ag amzer get ar mammoù en ospitalioù. Hervez ar pezh m’eus lennet war ur gazetenn, ur raktres zo da lakaat ar mammoù da chom un devezh hepken en ospitalioù ! Ha donet en dro da gulvoudein er ger, evel ma veze graet gwezhall ? Perak pas, benn ar fin, mard eo aozet mat an traoù, get tud a vicher ec’h ober ar dro ar mammoù e toug ?

Me, ne oan ket en Alre pand out ganet. Pell e oan, e Yougoslavia e lec’h ma kroge ur brezel spontus. Bet oan du hont ec’h ober reportajoù a ziar benn tud a laboure evit ar peoc’h hag evit an demokratelezh du-hont, koste Kroatia ha Slovenia. Ar pezh oa diaes memestra. Enebour ar peoc’h eo ar brezel, met ivez enebour an demokratelezh hag ar frankiz. Bremañ, Slovenia zo deuet barzh an Unanviezh Europa, met peseurt dazont evit ar broioù all, evel Serbia, Kosovo, Bosnia, Makedonia ? Ur bochad soudarded ag Europa zo bet kaset enno da sioulat an traoù, ha chom a rint pell, d’am sonj. Ar C’Hosovo zo c’hoazh ur rannvro a Serbia, met an Albaned, al lodenn vrasan ag ar bobl, a faota dezhe sevel ur vro distag, digabestr... N’eo ket sklaer an dazont er Balkan. Nag evidomp ni. Ar Fransision o deus lâret nann d’ar referundum evit ar “gonstitution Europa”. Hag ar lerc’h ? Peseurt raktress a zo, get ar re deus votet “nann”? N’eo ket sklaer ivez...


Gamoù boy milliget...
Piarzeg vloaz zo, ma Lulu, n’am boa ket bizkoazh gwellet ur “game boy”. Ar vugale a c’hoari alies get ar voestoù bihan-se bremañ. M’eus ket komprenet c’hoazh penaos a rit c’hwi evit gwellout ar pezh a zo war ar skrammoù bihan se... A wezhoù, Lulu , te zo staget doc’h ar game boy milliget se ha n’eus ket tu da gomz genit, evel ma vehes hipnotised, saouzanet. Ne blij ket din an dra se, me lar dit, ha n’eo ket seven nompass selaou an dud a gomz dit, ma Lulu... N’out ket da unan evel se. Ur bochad bugale ‘vez hipnotised ivez eldout, met n’eo ket un digarez.
Ar miam tra eo get an tele, ar skinwell. Me, m’eus paseet re amzer dirak an tele pa oan yaouankoc’h; ha gouzout a ran penaos e vez kollet re amzer geti. Traou brav hag interesus a zo war ar skinwell, ne lâran ket. Met ivez ur bern konerioù a bep sort evel “Enezenn an temptassion”, “Fear faktor”, “An dachenn”, ha c’hoazh. Bamet oas dirak Dolmen, filmoù brein skignet war TFunan an hañv paseet. Menhir ha dolmen gwir zo er vro-mañ ha m’eus kanniet dit monet d’o gwellet e Lokmariaker. Met non, kavet peus bourraploc’h chom vreiñan war da welle, e c’hoari get da game boy...

Nemet daou ugent vloaz on met komprenet m’eus un dra bennak, memestra. Ar gammoù boy, ar postoù tele, an urzhiaterioù, ar skrammoù, n’int ket nemet tammoù plastik get un tammig elektronik e barzh. N’int ket met benvegi. N’o deus ket kalon, na karantez, na fent, na skiant prenet, na santimantoù, nag empenn... Ni zo tud. Te ha me, da dud, da dud kozh, da c’hoar vihan, da vignonned, da gelennerion... N’eus skramm ebet, nag urzhiataer ebet a c’hellehe kemer hor flas. Ha n’eus skramm ebet a c’hellehe diskouez dit ar vuhez, an dud hag an natur, gwelloc’h evit da daoulagad ha da galon.


An hañv paseet, c’hoariet m’eus football get ur vamm gozh, piar ugent vloaz anezhi. Ya, piar ugent vloaz. Ur vamm gozh a zo e chom e Bro Gerne, tost da Gemperle. Hoonezh zo chomet barzh ar but, ar palioù, hep redek kalz met bon, begon oa geti memestra ! Spi m’eus e c’helliñ-me c’hoari football genit Lulu, pa m’bo piar ugent vloaz ivez. Ha spi m’eus e c’hellay te ivez c’hoari football, pa po piar ugent vloaz !
Ale, deiz a bloaz laouen mat, ma Lulu ha pokoù bras.
Piarzeg vloaz : bizkoazh kement all !

Christian Le Meut

Skeudenn : Lulu, war-dro pewar miz goude bout ganet, e tebrin ur hwerizionen. Nag ur goantenn dija !