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26/09/2005

Lulu, 14 ans

Lulu, tu es née voici 14 ans, le 26 septembre 1991.

Depuis cette date plusieurs anciens de la famille sont partis. Du côté de ton père, la totalité de tes arrières grands-parents étaient bretonnants de langue maternelle. De ces bretonnants qui disaient “piar” pour quatre, un tï pour dire maison ou ur “c’hï” pour un chien. Ils parlaient ce breton vannetais de la côte, avec une accent bien particulier, que plus beaucoup de gens ne parlent désormais dans leur deux communes d’origine, Crac’h et Ploemel. Toi, Lulu, tu ne parles pas le breton, et tu as sûrement beaucoup plus de notion d’anglais, de latin et d’espagnol que de notions de la langue de tes ancêtres. Il paraît que c'est normal. La langue bretonne est, ici encore, en Bretagne, largement mise à l'écart du système scolaire (hormis les écoles bilingues qui se développent heureusement). Il est encore cependant, du côté de Crac’h, Ploemel et Auray quelques personnes qui font de la résistance, qui parlent encore le breton ou l’apprennent. 7.000 pour le pays d’Auray, d'après les chiffres. Mais on n'entend plus beaucoup parler breton dans les rues de Crac'h, alors que c'était la langue majoritaire il y a une soixantaine d'année encore...
Il y a quatorze ans, Lulu, je ne parlais pas breton, juste quelques bribes. J’ai appris depuis, j’en suis bien content, et je continue d’apprendre. Je n’aime pas qu’on ait cherché à me couper de la langue maternelle de mes quatre grands-parents.


Crac'h, Auray, Vannes, et après ?
Il y a quatorze ans , Lulu, tu es née à Auray. Tes grands-parents paternels sont nés à Crac’h juste avant la guerre. Ta grand mère au centre bourg, fille de commerçant, et ton grand-père à Kerchican, juste en bas du bourg, chez les moins riches. Kerchican, quel nom. En breton, “chikannal”, c’est se quereller, se disputer, se bagarrer. Les gens de ce village étaient-ils particulièrement querelleurs ? En aurions-nous hérité quelque chose ? Mystère.
Ton père puis toi, Lulu, êtes nés à Auray quelques décennies plus tard mais désormais les bébés de Crac’h ne naissent plus à Auray, mais à Vannes. Il faut regrouper les maternités pour faire des économies. Mais quelle est la prochaine étape ? Rennes, Nantes, Paris, la lune ?... Les mamans restent désormais le moins longtemps possible dans les maternités, aussi pour des raisons d’économie. J’ai même lu dans la presse qu’un projet est en cours pour n’accueillir les femmes enceintes qu’une journée en maternité. Elles seraient préparées avant puis raccompagnées à la maison tout de suite après l’accouchement. Tels qu’on est là, on va bientôt réhabiliter l’accouchement à la maison et la boucle sera bouclée... Pourquoi pas, après tout, si cela se fait dans les conditions maximum de sécurité, et pas pour des raisons vilement budgétaires. Car l’Etat ferme des plus en plus de petits hôpitaux qui étaient répartis sur tout le territoire, soi-disant pour faire des économies. Mais des économies, je trouve qu’il y a d’autres endroits ou en faire, notamment du côté des dépenses militaires. Là-dessus, je n’ai pas varié depuis 14 ans, ma Lulu...


Balkans : de la guerre à l'incertitude
Quand tu es née, je n’étais pas à Auray, ni en Bretagne, ni en France, pour t’accueillir. J’étais parti en reportage en Yougoslavie, ou une guerre commençait. En Slovénie et en Croatie, pour être précis. J’étais allé y rencontrer des gens et des associations qui essayaient encore de parler de paix. Position difficile, car la guerre n’est pas que l’ennemi de la paix, elle est aussi l’ennemi de la liberté d’opinion, de la liberté d’expression, l’ennemi de la démocratie et de l’intelligence. Quatorze ans plus tard, la Slovénie vient d’intégrer l’Union européenne. La Croatie y aspire... Mais quel avenir pour les autres Etats issus de la Yougoslavie, comme la Bosnie, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine, le Kosovo ?... Des milliers de soldats européens y stationnent pour tenter de maintenir une paix fragile, mais ils risquent de devoir rester très longtemps car cette région demeure une poudrière, notamment le Kosovo. Que les militaires servent à maintenir le cessez-le-feu et une sorte de paix, très bien. Mais cela ne suffit pas pour construire un avenir de paix. Pour cela, il faut des accords politiques entre gouvernements, un développement économique, du temps. Le Kosovo, par exemple, fait toujours partie officiellement de la fédération Serbie-Monténégro, mais la majorité des Kosovards, albanais d’origine, veulent l’indépendance... Et pour nous, ici, en Europe de l’Ouest, quel avenir ? La construction européenne est stoppée depuis le vote négatif au texte de constitution européenne... Voter non était une chose, mais quel projet cela porte-t-il ? Les choses ne sont pas claires là non plus...

Game Boy : à la poubelle !
Il y a quatorze ans, ma Lulu, je n’avais jamais vu de ma vie une “game boy”, et ne m’en portait pas plus mal. Aujourd’hui ces petites boîtes sont devenues les jeux préférés de millions d’enfants et d’adolescents fascinés par ce qui se passe sur de minuscules écrans. Je n’ai jamais joué à la “game boy”. Mais quand je te parle, Lulu, et que tu ne lèves même pas la paupière pour me regarder et m’écouter tellement tu es fascinée par ton jeu, j’ai envie de la mettre à la poubelle, ta game-boy.
C’est pareil pour la télé. J’ai beaucoup regardé le petit écran durant mon enfance et je sais qu’on y perd beaucoup de temps à regarder des émissions trop souvent vides d’intérêt. La télé est une forme de drogue, une drogue dure. Bien sûr, il y a des émissions intéressantes, quelques-unes, sur des ghettos comme Arte, la Cinquième, voire sur le service public... Mais la tendance dominante est à une télé réalité qui prône la compétition à tout crin, l’allégeance à des modes artificielles, à des stéréotypes totalitaires, à la consommation à outrance, au divertissement permanent au détriment de la découverte de la vraie vie...
L’été dernier, Lulu, tu as été enthousiasmée par une série télévisée appelée Dolmen. Les dolmen y étaient plutôt des menhirs et l’histoire était du genre frelatée. Mais quand je t’ai proposé de venir voir de vrais menhirs, de vrais dolmen, cairns et tumulus à quelques kilomètres, à Locmariaquer, mademoiselle a préféré rester jouer avec sa game boy...
Je n’ai que quarante ans et des poussières, Lulu. Bon, c’est probablement déjà très vieux à tes yeux... Mais j’ai compris que les appareils, les games boys, télévision, ordinateurs et autres, ne sont que des morceaux de plastics avec un peu d’électronique dedans, et de l’électricité. Ils n’ont pas de cœurs, pas d’expérience de la vie, pas de mémoire familiale, pas d’humour ni de tendresse, ni aucun sentiment. Une machine reste une machine et nous, nous sommes des êtres humains. Nous, toi, moi, tes parents, ta soeurs, ta famille, tes amis, et même tes profs... Nulle machine ne peut nous remplacer. J’ai appris aussi qu’aucun écran, qu’il soit de télévision, d’ordinateur ou de cinéma ne te montrera mieux la beauté de la vie et du monde, que tes propres yeux. Alors ne vivons pas nos vies par procuration devant nos postes de télévision, comme dit le chanteur, Jean-Jacques Goldman, en l’occurence.


Une goal de 80 ans !
L’été passé, j’ai joué au football. Déjà, ce n’est pas fréquent mais là, en plus, j’avais comme goal dans mon équipe une mamie de 80 ans. Tu te rends compte ? 80 ans. Bon, elle ne courrait pas beaucoup, mais quelle énergie, quelle “begon”, quand même. J’espère, quand j’aurais 80 ans, être capable de jouer au foot comme ça, avec toi, qui sait... Et j’espère que toi aussi, arrivée à ce bel âge, tu pourras également tenir les buts. Je te le souhaite, ma Lulu.
Gros bisous, et bon anniversaire.
14 ans ! Bizkoazh kement all !

Christian

Photo (C.L.M.) : Lulu, quelques mois après sa naissance, en train de manger un pissenlit.

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