22/12/2016
Adrien
Hier matin à la sortie d’Hennebont, il y avait un stoppeur.
Il avait un très gros sac. Je n’avais pas trop le temps, mais je me suis arrêté. Il pleuvait.
Il a eu du mal à mettre son gros sac dans mon coffre. Il est entré dans la voiture et m’a serré la main en souriant.
Il avait l’air jeune, environ 25 ans.
- Je m’appelle Adrien.
- Enchanté, et vous allez loin comme ça ?
- Dans le Gers, passer Noël avec mes parents.
- C’est pas la porte à côté.
- Non, j’étais à Port-Louis depuis une quinzaine de jours, mais ils veulent que je vienne pour Noël. Vous avez vraiment une belle région.
- C’est sûr, mais le brouillard dure un peu longtemps. Le Gers ça doit être beau aussi.
- C’est assez plat, il y a beaucoup de champs où l’on cultive le maïs de manière intensive…
- Il n’y a pas la Dordogne à côté, le foi gras ?
- La Dordogne n’est pas loin mais, pour le foi gras, je ne mange pas de viande.
- Vous êtes là pour le travail ?
- Non, j’ai rompu avec la société. Je ne travaille pas, je n’ai pas de téléphone, ni d’ordinateur, ni de carte bleue. J’ai décidé de quitter ce monde là où tout le monde est malheureux. Et je me déplace à pied, mais j’ai du matériel, une tente, pour passer la nuit… Pour le reste, je vis grâce à la générosité des gens.
Là, j’ai eu une pensée pour une émission de télé où deux jeunes commençaient un voyage à poil avec un but précis et se faisaient nourrir, vêtir et déplacer par les gens qu’ils rencontraient. Mais j’ai vite chasser cette image, nous n’étions pas filmés, mais dans la vraie vie.
Adrien avait l’air heureux, content de son choix. J’ai essayé de défendre un peu notre société, en rappelant que nous avons une démocratie, que nous choisissons nos élus, mais il n’était pas convaincu, m’a parlé d’une forme de « dictature » du libéralisme économique. Je n’ai pas eu le temps de lui parler de systèmes de partage comme la sécurité sociale, le système des retraites, ou encore de l’éducation gratuite, que tout n’est pas à jeter. Mais, d’un certain côté, je ne pouvais pas désapprouver non plus son rejet du monde tel qu’il est, et qu’il veut améliorer.
- "Je ne veux pas passer ma vie à travailler en étant malheureux, comme le sont mes parents, pour avoir une retraite à 70 ans ! Je préfère parcourir la France d’abord, le monde ensuite, et partager des signes d’amour », a-t-il dit en souriant (il a peut-être parlé de "graines", la citation n’est pas complètement garantie, pas pris de note, je conduisais). Il parlait beaucoup d’amour.
Combien sont-ils, comme lui, jeunes, révoltés par le système, à ce point de rejet qu’ils le quittent.
Provisoirement ? Adrien, lui, disait avoir fait ce choix pour la vie.
Je lui ai proposé de le déposer près d’un restaurant routier où, je pense, il pouvait trouver plus facilement quelqu’un qui l’emmènerait un peu plus loin. J’ai un peu regretté de ne pas pouvoir parlé plus longtemps, de ne pas lui avoir laissé un contact mais, qui sait, peut-être le retrouverai-je un jour sur la route pour faire un nouveau brin de causette ensemble ?
Kenavo Adrien
09:28 Publié dans Buhez pemdeziek/Vie quotidienne, Politikerezh/Politique | Lien permanent | Commentaires (0)
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