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02/10/2005

Langues régionales : l'urgence d'un changement

Les récentes déclarations de Patrick Le Lay sur la Bretagne et la langue bretonne m'ont incité à rééditer cet article écrit au début de cette année pour la rubrique "J'ai fait un rêve" de la revue Alternatives Non-violentes, mais non publié parce que trop long... Ce texte est donc uniquement en français. Bonne lecture et n'hésitez pas à commenter !

1998, la France signe la charte européenne des langues minoritaires... Vous avez bien lu : 1998. Il ne s’agirait donc pas d’un rêve, mais d’une réalité, et bien non. Contrairement à presque presque tous les autres Etats de l’Union européenne la France n’applique toujours la charte européenne des langues minoritaires... Les langues bretonne, basque, corse, alsacienne, occitane, catalane, flamande, n’ont toujours pas de statut officiel en France, ni les langues parlées dans les Dom-Tom.

La charte européenne des langues minoritaires a été signée par Lionel Jospin, alors premier ministre mais renvoyée par Jacques Chirac devant le Conseil constitutionnel qui a déclaré cette signature non conforme à la Constitution. Et depuis, rien. Si, 20.000 personnes (1) dans les rues de Rennes, en mars 2003 pour demander cette ratification et la modification de la Constitution qu’elle implique. Dans l’indifférence totales des médias nationaux...

“Ne gomzan ket mui breton bemdez...”
“Ne gomzan ket mui breton bemdez, memes ar re gozh a gav gwell komz galleg etreze breman. Met me, me vourra muioc’h komz breton evit galleg” : “Je ne parle plus breton tous les jours, même les anciens préfèrent parler français entre eux aujourd’hui. Mais je préfère parler breton que parler français”... Ainsi s’exprime Germaine, une femme de Crac’h, commune du Morbihan, près d’Auray. Âgée de 68 ans, elle a appris le breton à la maison, dans son village, et le français à l’école, où sa langue maternelle était interdite. Ce cas est extrêmement fréquent parmi les Bretons d'origine rurale de sa génération.

Si Germaine n’a plus l’occasion de parler chaque jour, elle peut encore écouter la radio ou regarder la télé. Oui mais voilà, les médias publics lui proposent une émission d’une heure à la télé le dimanche (à la même heure que la messe!) et cinq minutes d’actualité chaque jour... Dans le Morbihan, seule une radio associative, mais subventionnée par la région, le département et l’Etat, propose des programmes breton-français. Dans la presse : un reportage par semaine dans le quotidien Le Télégramme, une leçon de breton le dimanche dans Ouest-France...

10.000 bretonnants meurent chaque année
Chaque année, 10.000 personnes bretonnantes de langue maternelle meurent. Il reste aujourd’hui environ 250.000 personnes capables de s’exprimer couramment dans cette langue contre 1.200.000 en 1945. Il s’agit surtout de personnes âgées. 9.000 enfants sont scolarisés;en 2004-2005 dans les filières bilingues créées depuis 25 ans par les parents : bilingue public, bilingue privé et écoles associatives (gratuites et laïques) Diwan.

La pédagogie par immersion (100 % en breton au départ) a motivé le refus d’intégration de Diwan dans l’Education nationale par le conseil d’Etat en 2002, malgré le soutien du ministre de l’Education de l’époque, Jack Lang. Pourtant, Diwan existe depuis 25 ans et les résultats de ses élèves sont plutôt supérieurs à la moyenne... Bizarre non ? Pendant des décennies des dizaines de milliers de Bretons ont intégré l’école française (publique ou privée) sans connaître un mot de français, ont été immergés dans une langue qui leur était étrangère, mais cela n’a guère posé de problème de conscience aux élites françaises. Dans le sens contraire, cela semble en poser... Car si les citoyens français sont égaux en droit (censément), ce n’est pas le cas des langues parlées sur le territoire de la République française et cette inégalité de traitement revient, finalement, à une inégalité citoyenne.

Passer de deux langues à une : un progrès ?
De mon côté, mes grands-parents étaient bretonnants de langue maternelle. Mais ils avaient bien compris que le français étaient la langue de la promotion sociale (toute les institutions le leur assénaient). Le breton était (et est encore), stigmatisé comme arriéré et inférieur. Beaucoup de Bretons ont intégré ce regard méprisant et colonial posé sur leur propre langue. Objectif des autorités : éradiquer les langues “régionales”. Elles y sont (presque) parvenu, refusant de signer, par ailleurs, certains textes internationaux de protection des minorités linguistiques (2). La transmission familiale ne se fait quasiment plus et les enfants qui apprennent le breton aujourd’hui le font à l’école... Mes grands-parents parlaient donc couramment deux langues dans leur vie quotidienne. Mes parents et moi en parlons une seule.
C’est le progrès, sans doute.

Depuis mon retour en terre bretonne, en l’an 2000, j’ai appris le breton, et je continue d’apprendre. Pour moi, c’est aussi une résistance non-violente face à un arbitraire d’Etat. Je n’ai jamais pu admettre l’attitude e la République française qui, à mes yeux, trahit ses propres valeurs en agissant ainsi; ni celles de beaucoup de Bretons eux-mêmes qui, dans leur grande majorité, se sont soumis à l’autorité. Ils n’ont pas pris conscience, ou pas voulu prendre conscience, de la perte culturelle que représente l’abandon de leur langue maternelle, parlée depuis 1.500 ans dans cette partie ouest de la Bretagne. Perte culturelle pour eux-mêmes, mais pour l’humanité entière car une langue qui disparaît est une part de notre richesse culturelle mondiale qui meurt.

Un préfet du Morbihan écrivait en 1831 : “Faire mourir une langue, c’est faire disparaître une individualité de la famille des nations ; c’est détruire une système d’entendement, un caractère national, des moeurs, une littérature. La philosophie et la morale condamnent également cet espèce de meurtre”. Ce préfet n’a pas été entendu. Quant au meurtre en question, un mot a été inventé depuis pour le qualifier : “ethnocide”.

Environ 6.000 langues parlées dans le monde
Un livre publié l’année dernière, “Ces langues, ces voix qui meurent” (3), établit un parallèle intéressant entre la perte de la diversité biologique et la disparition des langues. Environ 6.000 langues sont parlées actuellement dans le monde. La moitié est menacée de disparition dans le siècle actuel. Beaucoup ne sont plus parlées que par quelques individus (langues aborigènes d’Australie, d’Amérindiens du Nord ou du Sud, d’Afrique). Le breton est classé parmi les langues menacées par l’Unesco.

Notre mode vie actuel tend à une uniformisation culturelle rapide vers le modèle étasunien (pour aller vite). Les défenseurs de la langue française qui, parfois, combattent les arguments des partisans des langues dites régionales, ne voient pas que ces derniers défendent une vraie diversité culturelle vivante. Quand la République française, par la voie du président Chirac en particulier, défend “l’exception culturelle”, elle ne défend en fait que la langue française, pas les autres. Les autorités se gardent bien de promouvoir la diversité linguistique à l’intérieur de l’Hexagone.

En Bretagne, l’oppression linguistique a été mise en place depuis environ deux siècles. La royauté avait bien instauré le français comme langue officielle, mais sans chercher à l’imposer à tous les sujets. Au XIXe déjà, des débats ont lieu sur l’intérêt de l’emploi du breton à l’école, notamment pour enseigner le français aux masses bretonnantes... Mais la voie du bilinguisme n’a pas été choisie. C’est l’unilinguisme qu’ont imposé les élus, notamment dans l’Education nationale. Interdit de parler breton à l’école sous peine d’humiliation. Interdit d’enseigner le catéchisme en breton, sous peine de représailles administratives pour les prêtres. Impossibilité de monter dans l’ascenseur social avec la seule langue bretonne...

Une opposition diverses, mais constante
L’opposition à cette politique s’est manifestée sur le terrain politique, éducatif et religieux. Depuis le début du XXe siècle, des élus et organisations politiques demandent l’introduction du breton à l’école. Peine perdue. Cette cause était alors soutenue par des mouvement régionalistes proches de la droite monarchiste et catholique. Mais, à gauche, des instituteurs ont créé le mouvement Ar Falz dans les années 30 pour promouvoir le breton dans les écoles laïques. L’église catholique, de son côté, soutient l’usage de la langue bretonne pour éviter la contamination des idées républicaines ! Et puis l’abandonne quand elle sent que cela ne sert plus ses intérêts...

Juste avant la Seconde guerre mondiale, et dans les années 50, des élus reviennent à la charge, dont René Pleven (qui fut chef du gouvernement sous la IVe république). En 1953 une première loi autorise des cours facultatifs de langues régionales dans les établissements secondaires publiques. Première avancée, mais insuffisante. Face aux changements rapides de société, au déclin de la vie rurale, à l’urbanisation, le breton régresse rapidement. Aucune place ne lui est faite, quasiment, dans les médias publics. Il faut attendre les années 80 pour voir apparaître des radios associatives bilingues, ou unilingues en breton. Idem pour les écoles. A chaque fois, ce sont des groupes de citoyennes et citoyens qui se mobilisent, relayés par une partie des élus locaux. Ils veulent le bilinguisme et le construisent à leur niveau : primaire, secondaire, universitaire. Mais l’absence de reconnaissance officielle de la langue, et le manque d’environnement en breton (médias), entravent leur action.

L’erreur de la collaboration et de la violence
La vigueur d’autres pans de la culture, comme la danse, la musique, ne rejaillit pas forcément sur la pratique de la langue. Ce sont parfois des mondes qui s’ignorent... La langue bretonne apparaît, pour beaucoup de Bretons, comme dépassée, comme une langue dont ils approuvent théoriquement l’existence, comme un patrimoine, mais qu’ils ont renoncé à parler. Deux épisodes historiques n’aident pas à clarifier le débat : la collusion d’une grande partie des mouvements bretons avec l’occupant allemand pendant la seconde guerre mondiale (certains mouvements avaient déjà viré fascistes dès les années 30). Mais la collaboration massive de l’appareil d’Etat français avec les Allemands à cette époque, discrédite-t-elle la langue française ? Des grammairiens ont continué de travailler à l’unification de la langue bretonne pendant l’occupation, certes... Mais l’Académie française a-t-elle arrêté ses travaux pendant cette période ? Aucune institution française n’a, à ma connaissance, arrêté ses activités sous l’occupation...

Et puis il y a les périodes de revendications violentes des années 60-70 des FLB-ARB (Front de Libération de la Bretagne, Armée révolutionnaire bretonne). Ces groupuscules, soutenus par une minorité de la population, jugeaient légitime de recourir à l’action violente pour faire valoir les droits culturels et politiques des Bretons. Certains revendiquaient l’indépendance. Le recours à la violence n’est approuvé que par une minorité de la population bretonne. Il m’est arrivé cependant plusieurs fois cependant d’entendre cette phrase : “Si nous faisions comme les Corses, nous obtiendrions plus de chose”. Et il est vrai que, actuellement, l’offre d’enseignement de la langue corse est pratiquement généralisée, ce qui est très loin d’être le cas ici. L’offre en langue bretonne régresse même dans le secondaire. Les promesses faites par les ministres passent, et chaque rentrée réserve son lot de classes bilingues non-ouvertes malgré les demandes à cause du manque d’enseignants formés, de crédits, etc. Quant aux filières optionnelles, elles ne sont pas mieux loties.

Le centralisme jacobin menacé
L’Etat républicain semble parfois être plus à l’écoute des manifestations violentes que des manifestations non-violentes. Ainsi, il encourage la violence. Car si la démocratie est la loi de la majorité, elle est aussi l’aménagement du droit des minorités. Faute de quoi elle risque de devenir une dictature majoritaire en contradiction avec l’esprit et la lettre des droits de l’Homme.

La signature et l’application de la Charte européenne des langues minoritaires donneraient une reconnaissance et une légitimité aux langues régionales. La non-reconnaissance, au contraire, donne des arguments aux organisations hostiles à la République française, minoritaires mais agissantes. Le modèle français s’est construit sur un schéma communautaire : une seule langue, un seul peuple, une seule histoire, une seule organisation politique centralisée pour tout le territoire métropolitain... L’existence des langues régionales, et le fait de les parler, n’est pas une menace en soi pour la République française. Ce que la signature de la charte européenne, ou l’intégration de Diwan, menaceraient, par contre, c’est un modèle français uniformisant et un centralisme jacobin exacerbé.

La différence linguistique : une “sauvagerie ?”
“Qu’on vous soit différent suppose/par obligation qu’on ait tort” chantait Maxime Le Forestier (4) dans les années 70. La France des droits de l’Homme a bien du mal à intégrer les différences, et cela ne date pas d’aujourd’hui. “La différence linguistique condamne l’Autre à être le sauvage” (5). Suis-je un “sauvage” quand je parle ou j’écris en breton ? J’en ai l’impression parfois, dans le regard ou les réflexions de certains de mes amis, ou de relations.

Pourtant l’apprentissage et la découverte de la langue bretonne est un passionnant parcours de connaissance linguistique, littéraire, mais surtout humain. Le fait de parler, écrire, lire, le breton, m’oblige aussi à ouvrir les yeux et à être le témoin d’un processus triste : la mort possible d’une langue. Que faut-il faire pour sauver le malade ? Le conseil régional, pour la première fois, vient de lancer un plan de sauvetage de la langue. L'actuel président, Jean-Yves Le Drian (PS) a fait beaucoup de promesses dans ce domaine lors de la campagne électorale.

L’application de la charte européenne des langues minoritaires par la République française fait aussi partie des remèdes (mais ce n’est pas le seul). Elle aiderait aussi la communauté nationale française à changer. A porter un autre regard sur ses minorités linguistiques. A approfondir le droit à la différence dans le respect de la République française et européenne. Cette Europe ou tant de langues dites “régionales” (le gallois, l’écossais, le galicien, le catalan, le basque...) ont désormais un statut officiel. Mais un grand village gaulois, replier sur lui-même, résiste encore.

Christian Le Meut

(1) A l’échelle de la France, cela aurait représenté 300.000 manifestants...
(2) La France n’a pas ratifié l’article 27 du pacte international sur les droits civils et politique, ni l’article 30 de la convention des droits de l’enfants, ni la convention cadre européenne sur les minorités nationales, ni donc la charte européenne des langues minoritaires...
(3) “Ces langues, ces voix qui disparaissent”, Daniel Nettle-Suzanne Romaine, ed. Autrement, 19 €.
(4) Chanson “La vie d’un homme”
(5) “Ces langues...”, p. 63.


Suggestions de lectures :
- “Linguistique et colonialisme”, Louis-Jean Calvet, petite bibliothèque Payot, 2002.
- “Halte à la mort des langues” (2002), et “Le souffle de la langue, voies et destins des parlers d’Europe” (1992), Claude Hagège, éditions Odile Jacob.
- “Le français, histoire d’un dialecte devenu langue”, R. Anthony Lodge, Fayard, 1997.

Commentaires

g

Écrit par : hikmet | 24/05/2005

"Expérience de même niveau" avec le Provençal (véritable langue romane, avec ses variantes régionales (occitan, gavot, ... et même locales avec dun vocabulaire parfois différent concernant des objets d'usage quotidien entre deux village voisins de quelques kilomètes) ; même type de non-représentation dans les médias (émission toutefois sur France 3 régional le samedi parès-midi).

Écrit par : Lio | 14/06/2005

C'est loin d'être généralisé par manque de volonté politique. Les cours optionnels proposés dans certains lycées (et quelques collèges) reposent sur la bonne volonté de profs qui dispensent des cours entre midi et deux heures pour pouvoir regrouper les élèves volontaires... C'est mieux que rien, mais insuffisant et aléatoire. Un cours généralisé et obligatoire devrait organisé, en cinquième par exemple, comme il y a une initiation au latin, pour donner quelques rudiments des langues bretonne et gallèse, d'histoire et de géographie de la Bretagne, aux enfants qui habitent dans les cinq départements bretons.

Écrit par : Christian | 06/06/2006

de tes 20 000 (15 000 en fait, soyons clairs) en 2003, on tombe à 5 000 manifestants en 2006... et ce n'est pas les
10 000 pérorés par certains!

on attend les communiqués officiels , toujours rien!
si la foule avait été là, des communiqués auraient été pondus dans l'heure non?

il est peut être temps que les militants qui évoluent en lévitation dans des KSB, ICB, hag an holl skolioù uhel bennak descendent de leurs nuages...

si cette manif loupée peut servir d'électrochoc, elle ne sera pas désastreuse en fin de compte

de multiples raisons sont invoquées (trop d'événements simultanés à cette date comme la fête de la langue bretonne à Carhaix par exemple)

le découragement se nourrit de lui même et on est dans un cercle vicieux... J.Y Le Drian se déclarait vendredi en faveur du droit à l'expérimentation afin d'y inclure la filière bretonne et lui donner un cadre légal, il est à craindre qu'il peut au contraire se contenter d'un statu quo sans prendre de risques électoraux, au vu de la faible mobilisation...

ale, arabat koll spi ha kalon, sur avat en deus tizhet ur seurt toull don hor yezh karet, n'eus ken 'met pediñ gant ma n'ez z'afe ket da anaon!

Écrit par : bougen | 07/06/2006

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