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24/11/2008

Livre : Clavel soldat

clavel328.jpgBeaucoup de livres sur la première guerre mondiale viennent de sortir, 90e anniversaire de l'armistice oblige. C'en est impressionnant. Le livre que je viens de terminer, lui, a été réédité en 2006. Il s'agit de "Clavel soldat", un roman de guerre du journaliste Léon Werth, écrit en 1916-17 et paru en 1919. Léon Werth, 1878-1953, est journaliste-romancier qui eût son heure de gloire mais est tombé dans l'oubli. Sauf pour les lecteurs du Petit prince, de Saint-Exupéry, le livre lui est, en effet, dédié.

Mais, en 1914, Léon Werth ne connaît pas encore Antoine de Saint-Exupéry. Homme de lettres plutôt libertaire, d'extrême gauche, pacifiste, il se rallie cependant à la guerre. Mobilisé à 36 ans, il est envoyé dans un régiment territorial, donc en deuxième ligne, il demande à aller en première ligne. Il est évacué puis réformé en 1916. "Clavel soldat" raconte sa première période au front, en 1914-1915, jusqu'à sa première permission.

Ce récit, présenté comme un roman mais très autobiographique, n'est pas de lecture facile. Peu d'actions, pas de lyrisme, beaucoup de petits faits de la vie quotidienne. Et l'ennui. Un ennui profond. Clavel-Werth était hostile à la guerre. Il est profondément triste d'y participer. Il est tès critique à l'égard du mouvement ouvrier qui s'y est rallié. Critique aussi vis-à-vis de lui même, d'ailleurs. Ici, dans les tranchées, la vie quotidienne est faite d'une répétition de lachetés face à la hiérarchie, face aux autres soldats. On ne rêve que d'une blessure suffisamment grave pour exiger l'évacuation, mais pas trop quand même. En attendant, on fait face à l'ennemi (qui déserte parfois, d'autres fois ce sont des Français qui désertent), aux rats, aux puces, à la boue... On survit.

Léon Werth a un ou deux amis au front. Il voit arriver un jour un autre soldat avec qui il avait sympathisé quelque temps auparavant et qui, devenu officier, fait semblant de ne pas le reconnaître. La hiérarchie ? "Un cycliste fait chaque jour 36 km pour aller cherche du pain blanc au lieutenant-colonel et à son état-major".

Clavel commente souvent, mais c'est d'abord un témoin. Témoins des erreurs parfois fatales qui font qu'un soldat tue son supérieur. Erreurs infimes qui entraînent la mort: "Rouillon va aux tranchées porter la soupe à l'escouade. (...). L'une des marmites que porte Rouillon tinte parfois contre le fourreau de sa baïonnette", et ce petit bruit suscite les tirs d'obus allemands. "Il est mort. Sa femme, ses enfants... Clavel s'étonne d'y penser si froidement. Il est tombé. Voilà tout. Camarade ? Ami ? Pauvre bougre ? Eh non... Un mort dans la boue. Clavel s'étonne de n'éprouver nulle surprise, de ne pas sentir la peine qu'il se connaît pourtant. Et penché sur Rouillon il murmure:
- Nom de Dieu... Nom de Dieu... Nom de Dieu...".

Léon Werth, esprit libre qui dénoncera avant bien d'autres les crimes du colonialisme et se méfiera très vite du stalinisme (l'URSS lui interdit l'accès à son territoire dès 1923 !), dissèque devant nous la guerre qu'il a vécu au front, et son témoignage dérangeant, trop peu connu, est d'une valeur inestimable. Il en a laissé un autre de la guerre mondiale suivante qu'il a vécu caché dans le Jura pour éviter d'être déporté (il avait des origines juives) : "Réquisitions". Deux livres à lire absolument pour qui veut tenter de comprendre ce qu'est la guerre."Une prison", écrit-il.

Christian Le Meut

Clavel soldat, Léon Werth, Ed. Viviane Hamy. 2006.

Réquisitions, même éditeur, 1992.

Notes précédentes, en français :

http://rezore.blogspirit.com/archive/2006/03/01/leon-wert...

E brezhoneg :

http://rezore.blogspirit.com/archive/2006/02/27/leon-wert...

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