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01/09/2010

Léon Werth (1878 - 1955) : une émission sur France Inter

Tombé dans les oubliettes de l’histoire, l’écrivain et journaliste Léon Werth mérite que l’on en ressorte d’urgence. Les oeuvres de cet esprit libre, témoin de deux guerres, sont rééditées chez Viviane Hamy... Et, chose rare, une émission vient de lui être consacrée sur France inter (le 31 août), à l'occasion d'une exposition qui se tient actuellement à Issoudun. Voici le lien, l'émission reste écoutable pendant 30 jours, chercher dans "archives".

http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/humeurvagabonde/

Et, du coup, je réédite une note publiée en 2006 :

Peut-être avez-vous lu “Le petit prince” de Saint-Exupéry... L’auteur dédie son livre à un de ses amis : Léon Werth, et plus précisément, puisque “Le petit prince” est un livre pour enfants, “A Léon Werth quand il était petit garçon”... Le petit prince a été édité pour la première fois aux Etats-Unis, et en 1943. Saint-Exupéry y était réfugié, avant de revenir combattre pour la libération de la France, et son ami Léon Werth vivait reclus dans une maison du Jura. Cet intellectuel français d’origine juive risquait d’être raflé et déporté à tout moment. La dédicace prend donc une dimension singulière. Saint Exupéry ne survit pas à la guerre, il est tué en août 1944. Il ne verra pas son Petit prince édité en France, en 1946. Léon Werth, lui, vit jusqu’en 1955, inconsolable de la disparition de son meilleur ami. Mais si la mémoire de Saint-Exupéry est restée vivante, celle de Léon Werth a été oubliée pendant des décennies. Pourtant l’oeuvre et le parcours de ce journaliste écrivain méritent d’être connues.

Léon Werth est né en 1878 à Remiremont, dans les Vosges. Ses études l’amènent à Paris où il devient le secrétaire de l’écrivain Octave Mirbeau. Journaliste et critique artistique, Werth se fait connaître par ses livres sur des peintres comme Puvis de Chavannes et Cézanne et son premier roman, la Maison blanche, est proche de remporter de prix Goncourt. Il y narre son séjour en clinique, en 1911, pour soigner une otite aiguë contractée en Bretagne. Il brosse dans ce livre un tableau incisif du monde médical et y décrit la relation du malade à sa maladie.

Un antipatriote engagé volontaire
Proche des mouvements pacifistes d’avant guerre, notamment de Gustave Hervé, antipatriote et antimilitariste, il s’engage néanmoins en août 1914 : “Tout homme qui s’échappe des circonstances est lâche”, écrira-t-il en 1930. Envoyé sur le front, il est réformé en août 1915 pour maladie. Il décrit sa vie de soldat dans “Clavel soldat” et “Clavel chez les majors”, deux “déclarations de guerre à la guerre” écrit son biographe Gilles Heuré dans une biographie intitulée “L’insoumis” sortie début 2006 chez Viviane Hamy. Ces deux livres sont salués par la critique, notamment par Henri Barbusse, mais racontent la guerre de l’intérieur, très loin des épopées lyriques et des discours officiels.

Durant les années 20, Léon Werth publie beaucoup. Il est un des intellectuels de gauche en vue. Proche des communistes et des anarchistes, mais membre d’aucun parti, il suscite la méfiance. Quand ce journaliste veut partir en URSS en reportage, en 1923, les autorités soviétiques lui refusent l’entrée dans le pays. Il reste à la porte, en Pologne, malgré les chaudes recommandations de responsables communistes français. Dehors, M. le journaliste. Le regard de cet esprit libre aurait desservir la propagande.

Dénonciation du colonialisme
Trois ans plus tard le citoyen Werth se rend en Cocinchine, et en rapporte un témoignage critique de la colonisation : “Tout Français qui n’appartient pas à la race coloniale revient d’Indochine avec un sentiment de honte”, écrit-il dans son livre-reportage. Nous sommes en 1926. Aucun bilan positif de la colonisation pour Léon Werth.

Il continue de publier reportages et romans, critiques cinématographiques et picturales, mais les années 30 sont plus difficiles. Ses critiques du communisme et sa liberté de pensée, son ton souvent sarcastique, l’isolent d’une partie du monde littéraire. Certains de ses manuscrits sont refusés par des maisons d’édition: “Vous êtes un homme seul et votre pensée, par la même, devient très difficile à définir. Je crains fort que le lecteur ne puisse vous suivre et qu’il ne trouve pas dans ce recueil ce qu’on appelle communément, un message” lui répond l’éditeur Denoël...

La rencontre avec Saint-Exupéry
C’est en 1935 que Léon Werth et Antoine de Saint-Exupéry font connaissance. Le second est de 22 ans le cadet du premier, mais les deux hommes sympathisent et deviennent des amis intimes. Werth et sa femme vont rendre visite à Saint-Exupéry dans la caserne où il est mobilisé, à Saint-Dizier, en 1939. La défaite surprend Léon Werth à Paris. Il décide de quitter la capitale avant l’arrivée des Allemands, mais se trouve coincé sur les routes de la débâcle, avec son épouse et leur employée... Il met “33 jours” à atteindre leur maison du Jura, voyage que Léon Werth raconte dans un témoignage publié sous ce titre (Ed. Viviane Hamy et Magnard pour les collégiens). Un voyage terrifiant et étonnant. Werth y montre la veulerie de certains Français qui accueillent les envahisseurs à bras ouverts. Comment les mêmes profitent de la débâcle mais comment d’autres, notamment des fermiers de la région de Montargis, secourent leurs prochains...

Arrivé dans le Jura, à Saint-Amour, Léon Werth est contraint d’y rester. La zone libre est plus sûre pour les personnes d’origine juive comme lui, même s’il doit, le 9 juillet 1941, aller se déclarer “Juif” à la préfecture de Lons-le-Saunier : “Je me sens humilié, non pas d’être juif, mais d’être présumé, étant juif, d’une qualité inférieure”... Il reste jusqu’en janvier 1944 à Saint-Amour, reclus, bougeant peu, attendant les visites de son fils et de sa femme, retournée à Paris et qui traverse la ligne de démarcation clandestinement.

Un observateur au regard aiguisé
Dans son réduit jurassien, Werth se fait observateur du monde. Avec son regard aiguisé, caustique mais également humain et tendre, il écrit son journal quotidien qui sera publié, après la guerre, sous le titre “Déposition”. Un témoignage incontournable sur l’état de l’opinion en France “libre” puis occupée. Les turpitudes de la vie quotidienne, les rumeurs du bourg de Saint-Amour, les propos des paysans, les émissions de radio Londres, radio Paris ou de la radio suisse. Il note l’impopularité de Laval et la popularité de Pétain. Celle de De Gaulle aussi, qui croît au fil du temps. Il lit la presse de la résistance et, dès 1943, mentionne l’existence d’Auschwitz, en Pologne.

“Victoires défensives”
Les mentalités évoluent en fonction des batailles. Léon Werth notent les astuces de la propagande allemande. Après Stalingrad, les armées allemandes reculent partout en Europe de l’Est et en Afrique du Nord. Il ne s’agit pas de défaites, non, mais de “victoires défensives” selon la propagande. Belles victoires défensives en vérité, jusqu’à la prise de Berlin par l’Armée rouge ! La propagande récente a su créer des métaphores tout aussi manipulatrices : “frappes chirurgicales”, “dommages collatéraux”...

L’immobilisme sied mal à Léon Werth : “Mon pays n’est pas ici, écrit-il, mon pays c’est la Bretagne”. Léon Werth aimait les voyages et, semble-t-il, appréciait particulièrement la Bretagne. De retour à Paris en janvier 1944, Werth livre un témoignage émouvant sur les derniers jours de l’occupation. D’autant plus émouvant que la nouvelle de la disparition de Saint-Exupéry lui parvient. Après la Libération il assiste, en tant que journaliste, au procès du maréchal Pétain. Malgré les millions de morts, Léon Werth ne cède pas à la haine : aucun trace dans ses ouvrages. De la colère, oui, pas de haine. Il reste profondément humain malgré ses coups de griffe. Jusqu’à sa fin, en 1955.

“Werth enseigne à vivre” écrivait Saint-Exupéry sur l’oeuvre de son ami. Les livres de Léon Werth continuent “d’enseigner à vivre” au XXIe siècle.
Christian Le Meut

Les livres de Léon Werth sont réédités chez Viviane Hamy. "33 jours" a été édité en poche en 2002, chez Magnard, pour les collégiens.

Commentaires

Juste pour le plaisir la citation entière de Léon Werth:
"J'ai plaisir à regarder ces pentes d'herbe, ces coteaux en raidillons. Mais ce n'est pas mon pays. Mon pays c'est la Bretagne, qui est au-delà de la joie et de la tristesse, comme est la prière"
Un livre magnifique, connu grâce à toi Christian !
Mais je n'arrive pas à écouter l'émission de France inter via le lien que tu as mis

Une autre citation avant de partir ( mais c'est tout le livre qu' il faudrait citer! ) : "jamais je n'ai eu aussi complètement un moi à ma disposition.Je n'en abuse pas. Un moi ce n'est pas grand-chose à soi tout seul...". et on retrouve un peu le style de St Ex

Écrit par : éliane | 02/09/2010

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