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28/12/2006

Mauvaise langue...

medium_teod146.jpgUne fois par an à peu près, je retrouve un vieil ami, d’origine bretonne et habitant dans le sud-Finistère, que je connais depuis le lycée... Il ne parle pas breton mais, à chaque fois que nous nous retrouvons, il me branche sur le sujet en tentant de faire de l’humour. Et alors, l’indépendance ? Et alors les terroristes ?... C’est un peu lourd et désobligeant, mais je ne l’ai pas encore envoyé paître car nous sommes, en général, avec d’autres amis. Le fait d’apprendre et de parler breton ne fait de moi ni un terroriste, ni un indépendantiste, ni même un autonomiste (les deux notions sont, à tort, souvent assimilées tant l’histoire française ne connaît que le centralisme pas toujours démocratique).

Débattant avec cet ami, un jour, j’ai appris que son propre père parlait breton. Mon ami, né comme moi au début des années 60, est donc le premier de sa lignée à ne pas parler sa langue d’origine... Car si le breton n’est plus parlé que par 250.000 personnes environ en Bretagne, c’est la langue d’origine de bien plus de monde mais beaucoup se hâtent de l’oublier. C’est vrai quoi, pas moyen de vivre tranquille dans son petit coin de Bretagne mais en français, et uniquement en français. La plupart des noms de lieux et de noms de familles viennent du breton, mais c’est bien dans le décor, l’on francisera tout cela petit à petit. C’est déjà commencé. Et puis voilà ces emmerdeurs qui décident de continuer à parler breton. On peut encore pardonner aux anciens dont c’est la langue maternelle mais les plus jeunes, ceux-là dérangent peut-être un peu plus. Ils empêchent de vivre en toute bonne conscience unilingue française. Alors autant les caricaturer...

Unilingue ou bilingue ? 
C’est étonnant quand même que des personnes parlant une seule langue, mais  dominante et officielle, se croient autoriser à mépriser des personnes et des populations bilingues ou multilingues dans leurs vies quotidiennes ! J’ai entendu récemment sur France Inter un écrivain britannique, Juif et originaire de Turquie. Lui-même s’exprimait en français et évoquait son père qui savait écrire onze langues dans sept alphabets différents. Il y a des gens qui peuvent écrire onze langues dans spet alphabets différents et nous, pauvres crétins bretons (ou corses, basques, etc), n’aurions pas pu apprendre le français autrement qu’en abandonnant notre langue ?

De la diversité culturelle faisons table rase au profit de la plus belle langue du monde, la langue française évidemment. Tous les arguments ont été bons, et tous servent encore. Face à celles et ceux qui résistent au rouleau compresseur culturel, on déploie tout un arsenal de clichés : arriérés, ploucs, sectaires, communautaristes, terroristes, fascistes, etc. Mais cela ne cache la politique menée par l’Etat français depuis la fin du XIXe siècle, qui est une politique culturel ethnocidaire. On ne tue pas les gens mais leurs cultures, sous des prétextes divers. Le meilleur étant encore de prétendre nous faire accéder aux “lumières” de la philosophie française tout en nous coupant de notre langue d’origine et en commettant ainsi un crime culturel délibéré du meilleur obscurantisme...   

Alors il n’est pas surprenant de rencontrer parfois des amis ou connaissances qui nous ressassent les mêmes vieilles rengaines. Certains ont, pour eux-mêmes, renoncé à la langue bretonne : quoi de plus facile à faire dans notre monde francophone où la langue bretonne a si longtemps été marginalisée ? Les bretonnants dérangent parce qu’ils montrent une autre voie, un autre choix de vie, un peu moins conformiste peut-être.

Un vrai choix ?
En pratiquant ou en apprenant la langue bretonne ils accèdent à une connaissance, à une histoire, à une richesse supplémentaire, à un trésor linguistique et culturel formé à travers les siècles par des générations de locuteurs. Ce trésor là, sa valeur est incalculable par les financiers et ne rentre pas dans le calcul des indices boursiers. Les locuteurs de la langue officiel unique, la langue française, restent à côté. Libre à eux. Mais ont-ils réellement choisi, ou n’ont-ils fait que suivre la route que les pouvoirs dominants ont tracé pour eux, notamment à travers l'Education nationale ?

Qui veut tuer son chien dit qu’il a la rage; qui accepte qu’on lui coupe sa langue d’origine, voire sa langue maternelle, prétend qu’elle ne vaut rien et que la nouvelle langue qu’on lui apporte sur l’autel de la modernité et des lumières le satisfera en tout. Balivernes, l’être humain n’est pas un robot dont on change les pièces indifféremment et sans souffrance. Souffrance et perte il y a eu, et il y a encore.

Je ne reverrai pas mon vieil ami avant quelque temps mais j’ai dans l’idée que, la prochaine fois qu’il me branchera, y’aura encore du débat.

Bec’h a vo tudoù !

Christian Le Meut 

Le dessin est tiré de l'album de Gaston en breton qui vient d'être édité (lire ci-dessous).

Commentaires

Je suis tout a fait d'accord avec cet article.

j'ai 24 ans, j'apprend le Breton (cours du soir) et quand je dis ça, on me répond : "tu va aller poser des bombes au mcdo"

Le Breton est une richesse. depuis que je suis les cours, j'ai appris énormément et c'est un vrai bonheur !

Écrit par : Le Corre | 29/12/2006

Le sectarisme et l'étroitesse d'esprit se conjuguent dans toutes les langues, comme vos interlocuteurs l'illustrent très bien en français. Fait-on ce type de remarques aux gens qui apprennent l'anglais, l'allemand, l'espagnol, le russe, le chinois, le français (etc.), toutes langues dont des locuteurs ont posé des bombes, suscité des guerres, colonisé des populations, voire organisé des génocides ?...
Je crois que, chez les Bretons qui ne la parlent pas notamment, certaines réactions viennent d'une relation particulière à la langue bretonne qui leur est à la fois "étrangère" et proche, voire intime quand même; à la fois lointaine (ignorance cultivée ou subie, culture oubliée, frustration...) et proche (noms de lieux, de familles, langue d'origine, dynamisme actuel de la langue...).

Heureusement, l'on n'entend pas que ce genre de remarques.

Écrit par : christian | 29/12/2006

le problème peut être posé plus largement qu'une simple dépossession linguistique, perso je pense que la prise de conscience de la nécessité du combat pour la survie du breton passe par un sursaut d'orgueil et une prise de conscience du simple fait que nous ne sommes pas que des citoyens français modèles réduits qui se satisfont d'un modèle culturel à l'agonie et d'un système éducatif en panne...

puisque la tv est au centre de la vie française, je citerais deux exemples concrets de la vacuité hexagonale :
- arte chaine germano française est quasiment la seule à viser à l'excellence culturelle et à poser la vie comme autre chose qu'un concours de beauté et deepaillettes
- canal + s'en sort toujours honnêtement mais elle s'impose à l'encontre des principes d'égalité républicaine puisque chaine à péage

en tant que bretons nous ne sommes plus guère obligés de gouter à cette soupe, pour nous elle prend trop souvent un gout amer (trenk hor soubenn) quant on nous rabaisse au rang de province comme nos compatriotes haxagonaux... les moyens de s'affirmer et mettre en avant ses idées et opinions dans la république sont nombreux par le biais d'internet (bravo à webnoz par exemple), on peut réussir sans passer par paris city

à nous d'exploiter cette veine dès aujourd'hui!
sur le terrain à nous de reprendre pieds, à pieds de préférence, en délaissant par exemple les infames monstres motorisés qui détruisent nos chemins, en leur faisant barrage aussi, en ne les achetant pas au départ!

faites donc une expérience intéressante, garez-votre véhicule à distance d'un office du tourisme des monts d'arrée et rendez vous dans un office du tourisme, vous aurez beau faire quelques allusions démontrant que vous êtes du pays, on vous aura forcément pris pour un touriste, n'a t on pas le droit de se renseigner sur son propre pays?

revenons aux sources nondedie...

et puis si un jour on peut se rendre en centre bretagne au beau milieu de l'hiver et trouver des bars, restos et cafés ouverts et fréquentés toute l'année, des lieux d'expos vivants, des office d'accueil aux visiteurs en lieu et place des offices du tourisme, j'ai presque envie de dire moi aussi : la bretagne aux bretons ha degemer mat d'an holl

neuze e teuio poent deskiñ ar yezh

siwazh n'am eus ket amzer da dreiñ an destenn e brezhoneg evel ma vez graet bemdez gant paotr ar meut

Écrit par : if | 29/12/2006

Je me demande si les personnes qui ont ces réactions n'expriment pas parfois une forme de regret.
Elles sont attirées par la langue bretonne voir par les partis dévolutionnistes ou indépendantistes. mais ca reste au niveau de l'émotion, elles sont incapables de passer outre le "tabou breton" que Ronan le Coadic a bien décrit dans ses livres. La mystique d'état qui nous inculqu(ait?) qu'un bon francais défendant les valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité ne peut parler que francais (pas breton ou anglais!) et ne peut que soutenir la centralisation a outrance et -par exemple- la division régionale actuelle. Sinon il remet en cause l'Etat dans son sens le plus sacré, et se trouve donc en décalage complet avec ses concitoyens qui eux ont complètement assimilé cette mystique.
Qu'on le veuille ou non, apprendre le breton, c'est ètre un sacré rebelle!

du coup ces personnes dont vous parlez sont le cul entre 2 chaises, elles aiment bien jouer avec cette idée mais sans aller trop loin, en restant dans le domaine de la dérision.

Écrit par : lc | 29/12/2006

et c'est bien pour ça que je suis devenu indépendantiste..sur le tard après avoir bien servi cet état qui se moque de nous ....et je regrette de m'être réveillé si tard ...

Écrit par : Jean Landais | 29/12/2006

Je pense qu'il y a quand meme de la frustration chez les gens. Il y en a beaucoup qui aimeraient parler breton. Il n'y a que les gens vraiment motivés qui vont en cours du soir, il faut accepter de sortir après le boulot voir des inconnus. Il serai peut etre possible de trouver une autre maniere vu le nombre a vouloir aprendre le breton, regrouper les gens entre voisins ou amis et leur faire les cours, surtout qu'apres il y en aura surement qui utiliseront la langue entre eux. On entend souvent les gens dire que les parents qui envoyent leurs enfants à diwan, div yezh, dihun font un choix négatif pour leurs enfants mais après tout c'est le choix du choix, une fois la scolarité fini ils peuvent faire ce qu'ils veulent de leur breton. Il y a et aura surement beaucoup de jeunes à regretter ne pas pouvoir parler breton et ils seront de plus en plus en contact de jeunes issus des filières bilingues, eux n'ont pas le choix.

Écrit par : derv huellou | 30/12/2006

"Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiss nichts von seiner eigenen" Goethe

Ce qui veut dire, à peu près : Celui qui ne connait pas de langue étrangère ne connaît rien de sa propre langue.

Dénigrer le fait de parler ou d'apprendre une langue quelle qu'elle soit est une chose, mais qui implique d'autres choses, et en particulier une profonde inculture générale. Et c'est ça en fait qui me frappe (aïe) et qui me choque, cette profonde "inculture" généralisée.

Et moi j'ai envie de dire à ces (pseudo)-bretons qui se trouvent de bonnes-mauvaise raisons de ne pas apprendre le breton d'une part, et de dénigrer ceux qui le font, par dessus le marché, qu'ils sont profondement médiocres et incultes, à faire pleurer. (Il est vrai, malheureusement, que l'inculture peut-être une "valeur" chez certains)

(Une jolie voix sur une radio publique dit : "Sur France-Culture, on parle toutes les langues" !!! En réalité, on y entend que le français, à l'exclusion de "toutes les autres langues", mais la voix est si jolie qu'on y croit)

(Sur les chaines estampillées "culturelles" francaises il n'y a "Rien" sur les langues, à ma connaissance)

Ce qui me choque aussi c'est cette absence d'amour-propre et de fierté vis à vis d'une langue qui est aussi un héritage qu'on se devrait d'acquérir et de transmettre.
Renier cette langue, c'est se renier soi-même. (mais qui a encore de l'amour-propre dans ce monde contemporain et néanmoins moderne ?)

Écrit par : Alwenn | 31/12/2006

Ce genre de "blague" est courant, d'autant plus lorsque l'on est engagé politiquement. Pour ma part, j'en parle sur mon blog (http://lapolitiqueduchacal.over-blog.com) et j'essaye de faire de la pédagogie ici ou là sur le net pour entendre quasiment à chaque fois le même argumentaire creux.

Voyez vous même le dernier article que j'ai posté sur agoravox pas plus tard qu'hier et les réactions qu'il suscite alors qu'au départ, il s'agit plus des minorités ethniques que linguistiques!
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=30363

Au plaisir de vous lire. Je me rends compte que cet article est ancien!

Gael.

Écrit par : Gael | 17/10/2007

le point godwin semble atteint sur ce dernier lien...

Écrit par : louss | 17/10/2007

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