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01/12/2005

Nos ancêtres les Gaulois, les Bretons, les Romains, les Francs, les Arabes, les Basques...

Les débats actuels sur la mémoire historique française, coloniale notamment, m'incitent à rééditer cet article paru dans la revue Alternatives non-violentes. Petite contribution personnelle au débat collectif.

“Ne nous y trompons pas : l’image que nous avons des autres peuples, ou de nous-mêmes, est associée à l’Histoire qu’on nous a racontée quand nous étions enfants” écrit l’historien Marc Ferro dans “Comment on raconte l’histoire aux enfants” (1). L’enseignement scolaire de l’histoire a une influence prépondérante dans la construction des mémoires collectives et individuelles, mais pas lui seul : la famille, les médias, les monuments y contribuent aussi, et d’autres facteurs encore. Petit voyage en mémoire historique... Cet article vient de paraître dans le nouveau numéro de la revue Alternatives Non-Violentes.

Vannes, préfecture du Morbihan, est une ville ancienne, créée probablement il y a près de 2.000 ans par... ? Par les Romains, selon certaines sources; par les Vénètes, selon d’autres. Les Vénètes ? Ce peuple vaincu par Jules César lors d’une bataille maritime, en 56 av. JC. Des Gaulois, donc, me direz-vous. Euh... Pas sûr. Tous les historiens ne sont pas d’accord là-dessus : il pourrait s’agir d’un peuple descendant des populations mégalithiques qui, durant les millénaires précédents, ont dressé en Bretagne sud des champs de menhirs et une multitude de dolmen, cairns et autres cromlec’h. Ces populations là n’étaient pas celtes mais ont pu se mélanger ensuite avec des groupes celtes arrivés vers le premier millénaire avant J-C. Le dictionnaire d’histoire Mourre voit dans les Vénètes un peuple spécifique qui s’établit également en Vénétie. Un autre auteur, plus récent, suppose des liens avec ce peuple marin et explorateur qu’étaient les Phéniciens (2).

“Le vercingétorix” ?
Après avoir soumis la Gaule en 56, César doit y revenir quelques années plus tard pour mater la rébellion d’une partie des tribus gauloises plus ou moins unies derrière un chef... Vercingétorix. Mais était-ce son titre ou son nom ? L’historienne Suzanne Citron note dans “L’histoire de France autrement” que “Jules César a bien raconté qu’il avait battu un chef de la tribu des Arvernes. Mais nous ne savons même pas si le mot “vercingétorix” est un nom de personne ou s’il veut simplement dire “le chef” en langue arverne !” (3). Ce “Vercingétorix”, longtemps oublié des historiens, fut remis à jour par Henri Martin dans son “Histoire de France Populaire” (1875) : ”Henri Martin parvient à doter la France et les Français d’ancêtres réels et sympathiques (...). Il réussit à vulgariser et à faire admettre définitivement l’existence de Vercingétorix” note un autre historien, Rémi Mallet (4).
Il fallait, au XIXe siècle inventer à la nation française, et donc à la République qui tient son pouvoir du peuple, des racines qui précèdent les dynasties royales (liées à l’église catholique depuis le sympathique tyran Clovis) et qui précèdent également l’invasion romaine. Des historiens républicains ont alors ressorti les “Gaulois” du placard, créant ainsi un mythe ethnique pour une république basée sur la citoyenneté, et pas sur l’ethnicité; sur le droit du sol et pas celui du sang. C’est ambiguïté dure encore. Aujourd’hui encore, est-on vraiment “égal” dans la République française si l’on ne ressemble pas à un descendant de Gaulois ?
Mais qui étaient ces Gaulois ? Des peuplades ayant des traits culturels communs, des origines communes, probablement, mais avec des exceptions (les Vénètes, les Basques ?...). La Gaule était un espace géographique, pas un Etat organisé. “Gaulois”, ce nom leur a été donné par les Romains, Jules César l’utilise en précisant qu’eux-mêmes s’appelaient “Celtes”. “Gallia” est le nom latin donné à l’espace géographique entre l’Atlantique et le Rhin.



“Evel ur vro digabestr”
Mais revenons aux rues pavées de Vannes et à ses murailles. Une plaque de marbre scellée dans la pierre y rappelle que “Le 7 août 1532 fut signé à Vannes le traité d’union du duché de Bretagne au Royaume de France. La Bretagne conserva un statut d’autonomie abrogé par la Révolution Française de 1789”. C’est donc gravé dans le marbre.
Mais, sur la même plaque, la citation en français que je viens de vous livrer est précédée d’une citation en langue bretonne, que je traduis ainsi, avec l’aide du professeur de breton Daniel Carré : “Le 7 août 1532 fut signé à Vannes le traité qui mit fin à la liberté de la Bretagne. Bien qu’étant rattachée au royaume de France à partir de cette date, la Bretagne s’administra comme un pays libre jusqu’à la révolution française de 1789”...
Voilà donc sur une plaque officielle, scellée aux remparts de Vannes, deux phrases censées signifier la même chose mais dont le sens diffère. La phrase en breton parle de “fin de la liberté de la Bretagne”; l’autre d’une simple signature d’un “traité d’union”... Son inauguration suscita d’ailleurs quelques polémiques. Et si ces deux phrases n’étaient pas fausses ?

Un hommage simple sans serment de fidélité
Car oui, c’est bien à Vannes que fut signé le traité de 1532 signé par François Ier, roi de France, scellant de manière définitive le “rattachement” de la Bretagne à la France. Alors pourquoi parler de “fin de la liberté de la Bretagne” ? L’affaire a commencé en 1488-1491. Trois années durant lesquelles trois campagnes militaires furent menées par le roi de France de l’époque, Charles IX, pour soumettre le duché de Bretagne.
Les ducs de Bretagne levaient l’impôt, décidaient des lois, faisaient justice, levaient des armées, parfois contre le roi de France lui-même... Ce duché rebelle sur le flanc ouest du royaume de France était lourd de menace pour la monarchie capétienne, alors même que la Bourgogne venait juste d’être soumise. Le duché faisait partie du royaume, mais de loin. Les Bretons pouvaient, le cas échéant, porter leurs affaires judiciaires devant les tribunaux parisiens (comme aujourd’hui les tribunaux européens ?). Et le duc n’était pas roi : il devait rendre un hommage au roi de France, mais un “hommage simple sans agenouillement ni serment de fidélité” (5)... Très forte autonomie, donc. La jeune duchesse Anne, couronnée en 1490 était manifestement soucieuse de préserver cette autonomie. Elle décida de se marier au duc d’Autriche, Maximilien de Hagsbourg. Ce mariage trahissait un accord signé auparavant avec le roi de France et ne fut pas suffisant pour emporter la partie.

Des milliers de morts à Saint-Aubin du Cormier
A la bataille de Saint-Aubin du Cormier, pès de Rennes, en 1488, 5.000 à 6.000 soldats tombèrent du côté des vaincus (les Bretons et leurs alliés) quand 1.500 tombèrent du côté de l’armée du roi. 11.000 hommes constituait l’armée de la duchesse, 15.000 celle du roi. On avait mis les moyens, mais peu de gens, en Bretagne et en France, ont entendu parler de cette bataille décisive qui ne figure pas dans les programmes scolaires. Comme quoi, les manuels scolaires d'histoire de France ne se gargarisent pas de toutes les victoires françaises... Celle-ci amènerait peut-être les élèves à ses poser des questions peu souhaitables. Comment ça, une guerre a opposé le roi de France au duc de Bretagne ? Prise au piège dans la ville de Rennes, Anne de Bretagne fut sommée de se soumettre. Le mariage autrichien annulé (il n’avait pas été consommé), elle fut emmenée et contrainte de se marier rapidement au roi de France, Charles IX, en 1491. A la mort de celui-ci, elle épousa Louis XII, son successeur. Aucun garçon ne naquit de ces unions mais deux filles. L’aînée, Claude, épousa le roi suivant, François 1er. Puis les rois suivants, descendants de Claude et de François furent également duc de Bretagne...

Trois mariages et un rattachement
La Bretagne valait bien trois mariages. trois mariages et un “rattachement” aux allures de conquête et d’annexion. Toutefois, l’accord de 1532 laissait à la Bretagne certaines prérogatives, fiscales notamment. Le roi ne pouvait lever impôt sans l’assentiment du parlement établi à Rennes. Ces droits spécifiques furent source de tensions à plusieurs reprises, jusqu’à leur abrogation dans la nuit du 4 août 1789 en tant que “privilèges”... Et alors même que les députés bretons envoyés siéger aux Etats-généraux (devenus assemblée constituante), n’avaient en rien été mandatés pour cela... Alors oui, l’accord de 1532 mit fin à une certaine forme de “liberté” de la Bretagne, comme l’indique la plaque commémorative vannetaise; mais de qui en Bretagne ? Des ducs et duchesses de Bretagne, assurément, de la noblesse ? Mais le peuple fut-il mieux traiter avant le “rattachement” qu’après ? Quant à la phrase en français qui figure sur la plaque commémorative n’est pas fausse non plus, elle est plus neutre, il s’agit bien d’un “traité d’union”. Les différentes façons de dire l’histoire, même une fois gravées dans le marbre, révèles des contradictions, des oublis, volontaires ou pas. Mais elles peuvent aussi être complémentaires.



Jéhanne La Flamme...
Enfant, je me souviens m’être interrogé sur cette Jéhanne La Flamme dont plusieurs lieux portaient le nom dans la ville où j’habitais, Hennebont, une autre cité médiévale, à 50 km à l’Ouest de Vannes. Cela non plus, n’était pas enseigné aux enfants. Je connaissais les exploits de Jéhanne d’Arc, voire de Jéhanne Hachette, mais pas ceux de Jéhanne La Flamme... Je découvris qu’au XIVe siècle, cette duchesse de Bretagne, enfermée dans la ville close d’Hennebont, avait “mis le feu” au camp des Français (d’où peut-être son surnom)... “Au camp des Français...”; et en plus elle était soutenue dans sa lutte par les Anglais. Pour le petit Français que j’étais, cette découverte fut le début de biens d’autres mais que je ne trouvais pas dans les manuels de l’Education nationale. Non, en cherchant par moi-même dans les librairies, les bibliothèques... Pourquoi apprendre des batailles lointaines et ne rien savoir de celles qui ont eu lieu dans la ville où j’habitais ?

D’un mythe à l’autre
Pour s’auto-légitimer les pouvoirs, monarchiques, dictatoriaux, et même démocratiques, se façonnent depuis des millénaires des mythologies nationales souvent bien éloignées des réalités historiques (6). Ainsi les rois de France, comme les ducs de Bretagne, prétendirent descendre des Troyens ! L’historienne Suzanne Citron a montré, à travers ses ouvrages (7) comment certains historiens républicains du XIXe siècle ont créé une histoire officielle tendant à faire de la France un Etat prenant ses racines dans l’antiquité gauloise, un Etat quasiment éternel, préexistant. Un Etat-nation légitimé par ses ancêtres. L’histoire enseignée a encore pour but de montrer la formation de l’Etat français, monarchique puis républicain.

A travers le “domaine royal”, contrôlé directement par les rois, les régions du nord et du sud de la Loire sont progressivement intégrées, puis les régions “périphériques” comme la Bretagne, l’Alsace, la Corse... Cette extension a parfois eu lieu par le jeu d’alliances matrimoniales, sans violence, d’autres fois, comme en Bretagne, suite à une guerre. Mais les raisons et les circonstances sont rarement expliquées aux enfants, comme s’il s’agissait d’un processus naturel, évident. Les hors-catégories de toutes sortes (Juifs, Cathares, Bretons, Corses, Basques, pays colonisés...) ne sont mentionnés, en général, que lors de leur intégration au royaume ou à la république. Comme s’ils n’avaient pas d’existence autonome avant.

Une histoire contre l’autre ?
L’étude de l’histoire locale et régionale prouve le contraire. En Bretagne, un manuel d’histoire a été édité par le Centre de recherche et de documentation pédagogique, pour raconter l’histoire régionale (8). Il a été distribué largement dans les écoles. Cette démarche peut-être intéressante si elle est accompagnée par les enseignants pour montrer qu’il y a différentes façons de raconter l’histoire; les processus qui mènent à la formation des Etats; les différents types d’organisations des sociétés (centralismes, autonomie, fédération, décentralisation...).
Le danger existe de vouloir substituer une histoire nationale, un mythe national, à une autre. Une histoire de la Bretagne à la place de l’histoire de France. Là n’est pas mon propos. Je crois, par contre, qu’en partant du local on peut accéder à l’universel. Former une mémoire critique, curieuse, chercheuse, ouverte et non enfermée dans un schéma unique et nationaliste, consciente également des incertitudes historiques.

Egalité ou uniformité ?
C’est un paradoxe que de voir l’identité nationale française construite sur un mythe ethnique (les Gaulois), alors qu’elle proclame l’égalité des citoyens de toutes origines devant la loi. Mais quand on est blanc et francophone, on est plus “égaux” que les autres. La France, pourtant, s’est construite sur des bases multiculturelles : les populations mégalithiques puis les Celtes-Gaulois, puis les Romains et les Gallo-Romains, puis les Germains (les Francs parlaient une langue germanique) et une multitude d’autres populations depuis, venues pacifiquement ou pas. Cette diversité s’est traduite par une très grande richesse linguistique et culturelle que la monarchie n’a pas systématiquement cherché à faire disparaître (tant qu’on lui payait l’impôt et lui fournissait des conscrits) mais que la République, elle a cherché à niveler. N’aurait-elle pas confondu égalité et uniformité ?

Les difficultés à concevoir une histoire multicurelle ne se retrouvent-elles pas aujourd’hui dans les difficultés à intégrer les générations issues de l’immigration ou de la traite des Noirs (Antilles) ? Dans la difficulté qu’à la France à intégrer des différences régionales dans l’Hexagone (Basques, Corses, Bretons...) ? Dans l’impasse où sont les langues régionales, toujours privées de reconnaissance légale en France ? La France a-t-elle rompu avec sa vision coloniale sur les peuples “étrangers” et sur les peuples vaincus de l'Hexagone ? Ces peuples qui n’avaient pas d’histoire avant que la France ne les envahisse ? Pas d’histoire, pas de langue (non seulement des dialectes, des idiomes, des patois), pas de culture...

Du local à l’universel
Partir du local, de l’histoire des gens, pour ensuite accéder au national, puis à l’Europe et à l’ensemble de l’histoire de la planète. Je ne suis pas pédagogue, juste un citoyen qui se pose des questions : comment enseigner l’histoire pour la rendre vivante, porteuse de culture et d’une mémoire qui n’enferme pas ? Comment montrer les conflits, les contradictions, les différentes versions; lesquelles sont fausses, incomplètes, manipulatrices ?...
L’enseignement de l’histoire peut former à l’esprit critique, donc à l’esprit citoyen. Il peut aussi enfermer dans des schémas trompeurs et nationalistes, fauteurs potentiels de violence et de guerre. Au-delà de l’histoire et de la mémoire, c’est la question du contrat social qui apparaît : comment vivre ensemble avec nos différences ? Respecter ces différences tout en faisant vivre le projet démocratique et les droits de l’Homme ? L’enseignement de l’histoire en France doit-il d’abord former des Français ou doit-il d’abord former des êtres humains conscients de la complexité de l'histoire ?
Christian Le Meut

Alternatives Non-Violentes, n°136, 12 €, Centre 308, 82 rue Jeanne d'Arc, 76000 Rouen; ce dossier sur l'histoire comprend également un article de l'historienne Suzanne Citron sur le mythe national, un autre sur Sétif en 1945, les suivants sur l'histoire locale en Normandie vue à travers la presse locale, les prix Nobel de la Paix, le Mémorial de Caen et enfin la place des femmes dans le mouvements des droits civiques aux Etats-Unis.
anv.revue@wanadoo.fr

(1) “Comment on raconte l’histoire aux enfants”, Petite bibliothèque Payot, août 2004. Une étude étonnante sur la façon d’enseigner l’histoire à travers le monde et son évolution dans le temps.
(2) “Essai impertinent sur l’histoire de la Bretagne méridionale”, Camille Busson, Ed. L’Harmattan, 2005.
(3) “L’histoire de France autrement”, p. 14, Ed. de l’Atelier, 1995. Suzanne Citron, agrégée d’histoire, tente une approche nouvelle de l’enseignement de l’histoire de France dans ce livre, et du monde dans “L’histoire des hommes” (Syros, 1996).
(4) Cité par Suzanne Citron dans L’histoire de France autrement, p.15.
(5) “L’union de la Bretagne à la France”, Daniel Le Page, Michel Nassiet, Ed. Skol Vreizh, 2003. Une étude historique précise et nuancée.
(6) Mythes fondateurs de la Bretagne, Joseph Rio, ed. Ouest-France, 2000.
(7) Le mythe national, l’histoire de France en question, Ed. ouvrières, 1991.
(8) Bretagne, une histoire, CRDP de Bretagne; Louis Elegoët; existe aussi en langue bretonne.
(9) “Comment se fait l’histoire, pratiques et enjeux” : ouvrage collectif, p. 11, Ed. La Découverte, 2005.

30/11/2005

Le chant du peuple au fond de la cour...

Il y avait, à l’entrée de la ferme, un fjord. oui, un fjord, c’est-à-dire une espèce de cheval, à peine plus grand qu’un poney... Il accueillait les visiteurs, mordillant légèrement leurs bras à la recherche de caresses.
Il y avait aussi un coq, une coq “marans”, c’est le nom de son espèce, mais qui justement, n’est pas marrant du tout : il agresse et blesse les poules. Sa maîtresse a voulu le rentrer dans sa cage mais le coq pas marrant du tout a fait de la résistance et est resté sur son toit... Il y avait aussi une quarantaine d’êtres humains réunis dans une salle de ferme d’un village de Brec’h, près d’Auray (Morbihan) pour écouter un spécialiste parler des chants bretons. Jorj Belz est le nom de ce spécialiste qui est arrivé avec une quantité d’enregistrements sur cassettes qu’il nous a fait écouter sur d’improbables magnétocassettes.

Cette soirée était organisée, fin octobre, dans le cadre des fêtes Douar Alre Gouil Bamdé, par l'association Sten Kidna-komzomp asampl. Jorj Belz, cheville ouvrière de Douar Alré (Terre alréenne), sillonne le Morbihan depuis des décennies, enregistrant les chanteurs et sonneurs. Organiste, et chanteur lui-même, dans le groupe Les Trouzerion, il analyse les évolutions, cherche les origines, traque les différentes interprétations, goûte les différents styles.

Le chant n’a pas de pays
Il nous a fait écouter des chants dans leurs différentes interprétations, (carnacoise, pontyvienne, séglienne, etc), pour conclure qu'il ne croit pas à la dimension de pays dans le domaine du chant comme il y en a pour la langue bretonne, les danses, les costumes... Jorj Belz croit plutôt au talent de chaque chanteur et chanteuse. La plupart des chants populaires bretons ont de multiples versions tant pour les paroles que les airs. Musiques et paroles circulent et évoluent au fil du temps. Le conférencier l'a démontré en faisant écouter différentes versions d’un chant connu, "Me zo ganet e kreiz ar mor" (“je suis né au milieu de la mer), poème écrit par Yann-Ber Kalloc'h, poète de l’île Groix, et mis en musique par Jef Le Penvern quelques décennies plus tard. L’enregistrement datait des années 50 et nous avons entendu une sorte de Castafiore d'origine bretonne, certes, mais ignorant la langue bretonne, et ça s'entendait un peu...

Kanomp Noël : différentes versions
L'introduction des instruments de musique comme l'accordéon, la guitare, le piano, a également eu une influence sur l'interprétation et sur les airs eux-mêmes qui, il n'y a pas si longtemps encore, se transmettaient uniquement de bouche à oreille. Il y avait aussi des feuilles volantes vendues avec les paroles et la musique, mais peu de gens savaient lire les notes, ni même les textes. Jorj Belz a cité le célèbre "Kanomp Noël" ("Chantons Noël") qui semble s'être figé aujourd’hui dans sa version écrite par le poète-paysan hennebontais Loeiz Herrieu, alors même que d'autres variantes étaient interprétées en pays d'Auray, variantes sur l'air et le rythme. Mon arrière-grand-père de Ploemel, Pierre Thomas, chantait Kanomp Noël plus vite que dans la version dominante aujourd’hui.

Kas a barzh ou an dro daou ha daou ?
Tel air venu de Paris au début du siècle dernier, a été repris à Carnac pour en faire un an dro - kas a barh sur lequel des paroles bretonnes ont été mises. Et ce que l'on prend parfois pour un patrimoine immémorial est en fait daté. Jorj Belz l’a très bien montré. Il a d’ailleurs indiqué que le nom de la danse bretonne “kas a barh” aurait été créé dans les années 60 : “Les anciens disaient “an dro daou ha daou” (an dro deux par deux). D’autres chants, pourtant écrits au début du XXe siècle, sont passés à la postérité jusqu’à en oublier le nom de leurs auteurs. Ce phénomène était courant et l’on a vu, il y a quelques années, un groupe appelé Manau mettre des paroles en français sur l’air de Tri martelod yaouank, paroles qui n’avaient rien à voir avec les paroles bretonnes... Quelques musiciens bretons ont eu l’air de grincer des dents alors même que leur propre répertoire est truffé de reprises de chansons traditionnelles...

Bec’h au Kan ar bobl
Le conférencier a souligné l’importance des paroles, écrites par des gens du peuple comme vous et moi. Il nous a fait écouter ce chanteur qui avait écrit en breton une chanson plutôt anticléricale sur les curés de sa commune. Ce chanteur participait à un concours Kan ar bobl et entama tranquillement son chant. Mais il vit que le technicien bénévole de service qui s’occupait du micro supportait de moins en moins sa diatribe anticléricale. Et le chanteur d’accélérer le chant; et le technicien bénévole de lui couper la chique au bout de quelques minutes ! Bec’h zo bet er C’Han ar Bobl. Ces chansons populaires du cru provoquaient parfois des tensions mais écrites et transmises depuis des siècles elles sont un patrimoine artistique et littéraire de première importance. Une forme de littérature orale.
Chants de tous pays... Tel autre air populaire présenté comme un air breton, est aussi connu dans d'autres régions qui le revendiquent également comme un air traditionnel de chez elles. L'érudition et les recherches de Jorj Belz aident à mieux comprendre ces phénomènes et à faire tomber quelques préjugés, voire quelques œillères.

La conférence, en français ponctué de breton, s'est terminée en chansons interprétées par le conférencier et par plusieurs autres membres de l'assistance, jusqu'à minuit passé. Le coq marans pas marrant n’a pas ouvert son bec de la soirée, quant au cheval fjord, il a exigé à la sortie son dû en caresses et en compliments... Lui aussi semblait avoir apprécié les chants populaires bretons.
Christian Le Meut

29/11/2005

Kan ar bobl e don ar c'hourt

Ur fjord oa e porzh an dachenn : ur fjord, da lâret eo ur sort jao bihan, ur poney bras ha graet vez graet “fjord” ag ar sort ronsed se. Hennezh a doste d’an dud hag a binse o divrec’h evit bout moumounet gete...
Ur “marans” oa ivez en dachenn-se. Ur c’hog “marans” a vez graet ag ar sort kog se met n’eo ket “marrant” anezhan tamm ebet, na fentus, na farsus : fardeiñ a ra ar ar yer, hag int da vout gloazet getan. E vestrez a faote dezhi her lakaat en e doull, met ne oa ket posupl. Ar c’hog zo chomet war an doenn e pad an noz...

Broioù ebet evit ar c’han
Bez oa ivez daou ugent den daet d’ar ferm se, e parrez Brec’h, da selaou prezegenn Jorj Belz a ziout ar sonennoù poblek a Vreizh... Savet oa bet an abadenn se e pad gouélioù bras “Douar Alre”, e fin mis Gouel Mikael, get ar gevredigezh Sten Kidna-komzomp asampl. Abaoe pell Jorj Belz a zastum sonnenoù kanet er vro-mañ. Sonour eo, ha kanour ivez er strollad An trouzerion. Deuet oa get ur yoc’h kasedigoù a bep sort. Ha setu penaos hon eus selaouet sonnenoù ag ar vro kanet  get tud dishenvel hag e doareioù dishenvel. Hervez Jorj Belz n’eus ket a vroioù evit ar sonennoù, evel ma z’eus evit an dans, ar yezh pe ar gwiskamentoù... Nann, n’eus ket broioù ebet, pep hini a gane, hag a gan, reve e c’hoant, e spered hag e vouezh... Ur sonnen a c’hell bout sonet ha kanet founapl, buan, pe  difonnoc’h. Klevet hon eus ur sonnen vrudet “Me zo ganet e kreiz ar mor”, kanet d’an doare opera get ur sort Kastafiore a Vreizh, met ne ouie ket komz brezhoneg anezhi ha distaget oa hor yezh a dreuz geti memestra.

Gwezhall e veze desket ar sonnenoù e selaou hag e kanal. Gwerzhet veze folennoù lec’h ma veze embannet ar c’homzioù hag an ton, met tud ar bobl ne ouie lenn ar sonerezeh (nag an testennoù ivez alies bras). Komzioù ha tonioù a valee mod-se hag a chanche hervez al lec’hioù hag ar prantadoù. Lakaet veze ivez tonioù dishenvel war ar memes komzoù; pe chanchet veze an destenn, ha c’hoazh. A gaos d’an dra se e kavomp doareieù dishenvel da gan ha da son ar memes sonnen hiriv an deiz c’hoazh. Memestra e eo  galleg get sonenoù poblek. Met chanchet eo bet an dra se hiziv an deiz a gaos d’ar binvigoù sonerezh ha d’ar magnetofone.

Penaos kaniñ “Kanomp Noël” ?
Ar c’hantik brav  Kanomp Noël a oa bet embannet get Loeiz herrieu, barzh ha labourer douar en Hen Bont. Hag e zoare zo daet da vout kazimant an doare nemeti da gan ar c’hantik se hiriv an deiz, tra ma z’eus doareieù all, founaploc’h lakoomp, evel ar pezh a veze graet get tad ma zad kozh, Pierre Thomas, e Plenuer. Roet oa bet skouerioù all get Jorj Belz : un ton daet a Baris kant vloaz zo ha klevet e Karnag, oa daet da vout  ur “c’has a barzh” get komzoù e brezhoneg ! Hervez Jorj Belz e veze lâret get ar re gozh “an dro daou ha daou” ha pas “kas a barzh” : ar feson se da gomz zo bet savet er bleadeù tri ugent hervez ar prezegenour...

Manau hag an tri martelod
Dek vloaz zo ur strollad a Baris, anvet Manau ’doa lakaet komzoù galleg war ar sonnen “Tri martelod yaouank”, komzioù pell ag ar pezh lâret e brezhoneg. Berzh oa bet gete, millionoù a bladennoù gwerzhet... Sonerion a Vreizh oa, o doa en em savet a enep d’an dra se, met graet vez gete d’ar memes mod, benn ar fin. Tonioù ha komzioù hengounel, poblek, a vez sonnet ha chanchet mod se a hed an amzer abaoe kantvedoù ha kantvedoù...

Ar sonnenoù n’int ket graet nemet evit dañsal : ar c’homzoù zo talvoudus, pouezus bras ivez ! Selaouet hon eus un den a gane e pad ar C’han ar Bobl, pell zo. Hennezh doa savet ur sonnen a enep beleion e barrez... Kroget en doa da ganiñ, trankil ha sioul, met ar paotr a rahe ar dro ar mikro ne oa ket evit klevout ar pezh a lâre ar c’hanour. Setu hennezh da vont fonnaploc’h tamm ha tamm, ha da vout troc’het get an teknikour kounaret ! Bec’h zo e Bro ar C’han ar bobl a wezhoù. Skrivet vez mod-se sonennoù get tud ar bopl abaoe pell zo. Ar sonnenoù se zo ur sort “lennegezh dre gomz” kaer ha talvoudus tre evit hor yezh hag evit kompreiñ hon istoer, taol spered ha buhez hor gourdadeù. N’int ket da vout dispriziet evel ma veze graet gwezhall...

Bourrapl oa bet an nozh se : ar c’hog “marans” zo chomet trankil ha didrouz. Gwell a se. E fin an abadenn, ar fjord n’doa tostaet c’hoazh d’an dud a oa e vont kuit evit bout moumounet en dro.

Christian Le Meut