30/11/2005
Le chant du peuple au fond de la cour...
Il y avait, à l’entrée de la ferme, un fjord. oui, un fjord, c’est-à-dire une espèce de cheval, à peine plus grand qu’un poney... Il accueillait les visiteurs, mordillant légèrement leurs bras à la recherche de caresses.
Il y avait aussi un coq, une coq “marans”, c’est le nom de son espèce, mais qui justement, n’est pas marrant du tout : il agresse et blesse les poules. Sa maîtresse a voulu le rentrer dans sa cage mais le coq pas marrant du tout a fait de la résistance et est resté sur son toit... Il y avait aussi une quarantaine d’êtres humains réunis dans une salle de ferme d’un village de Brec’h, près d’Auray (Morbihan) pour écouter un spécialiste parler des chants bretons. Jorj Belz est le nom de ce spécialiste qui est arrivé avec une quantité d’enregistrements sur cassettes qu’il nous a fait écouter sur d’improbables magnétocassettes.
Cette soirée était organisée, fin octobre, dans le cadre des fêtes Douar Alre Gouil Bamdé, par l'association Sten Kidna-komzomp asampl. Jorj Belz, cheville ouvrière de Douar Alré (Terre alréenne), sillonne le Morbihan depuis des décennies, enregistrant les chanteurs et sonneurs. Organiste, et chanteur lui-même, dans le groupe Les Trouzerion, il analyse les évolutions, cherche les origines, traque les différentes interprétations, goûte les différents styles.
Le chant n’a pas de pays
Il nous a fait écouter des chants dans leurs différentes interprétations, (carnacoise, pontyvienne, séglienne, etc), pour conclure qu'il ne croit pas à la dimension de pays dans le domaine du chant comme il y en a pour la langue bretonne, les danses, les costumes... Jorj Belz croit plutôt au talent de chaque chanteur et chanteuse. La plupart des chants populaires bretons ont de multiples versions tant pour les paroles que les airs. Musiques et paroles circulent et évoluent au fil du temps. Le conférencier l'a démontré en faisant écouter différentes versions d’un chant connu, "Me zo ganet e kreiz ar mor" (“je suis né au milieu de la mer), poème écrit par Yann-Ber Kalloc'h, poète de l’île Groix, et mis en musique par Jef Le Penvern quelques décennies plus tard. L’enregistrement datait des années 50 et nous avons entendu une sorte de Castafiore d'origine bretonne, certes, mais ignorant la langue bretonne, et ça s'entendait un peu...
Kanomp Noël : différentes versions
L'introduction des instruments de musique comme l'accordéon, la guitare, le piano, a également eu une influence sur l'interprétation et sur les airs eux-mêmes qui, il n'y a pas si longtemps encore, se transmettaient uniquement de bouche à oreille. Il y avait aussi des feuilles volantes vendues avec les paroles et la musique, mais peu de gens savaient lire les notes, ni même les textes. Jorj Belz a cité le célèbre "Kanomp Noël" ("Chantons Noël") qui semble s'être figé aujourd’hui dans sa version écrite par le poète-paysan hennebontais Loeiz Herrieu, alors même que d'autres variantes étaient interprétées en pays d'Auray, variantes sur l'air et le rythme. Mon arrière-grand-père de Ploemel, Pierre Thomas, chantait Kanomp Noël plus vite que dans la version dominante aujourd’hui.
Kas a barzh ou an dro daou ha daou ?
Tel air venu de Paris au début du siècle dernier, a été repris à Carnac pour en faire un an dro - kas a barh sur lequel des paroles bretonnes ont été mises. Et ce que l'on prend parfois pour un patrimoine immémorial est en fait daté. Jorj Belz l’a très bien montré. Il a d’ailleurs indiqué que le nom de la danse bretonne “kas a barh” aurait été créé dans les années 60 : “Les anciens disaient “an dro daou ha daou” (an dro deux par deux). D’autres chants, pourtant écrits au début du XXe siècle, sont passés à la postérité jusqu’à en oublier le nom de leurs auteurs. Ce phénomène était courant et l’on a vu, il y a quelques années, un groupe appelé Manau mettre des paroles en français sur l’air de Tri martelod yaouank, paroles qui n’avaient rien à voir avec les paroles bretonnes... Quelques musiciens bretons ont eu l’air de grincer des dents alors même que leur propre répertoire est truffé de reprises de chansons traditionnelles...
Bec’h au Kan ar bobl
Le conférencier a souligné l’importance des paroles, écrites par des gens du peuple comme vous et moi. Il nous a fait écouter ce chanteur qui avait écrit en breton une chanson plutôt anticléricale sur les curés de sa commune. Ce chanteur participait à un concours Kan ar bobl et entama tranquillement son chant. Mais il vit que le technicien bénévole de service qui s’occupait du micro supportait de moins en moins sa diatribe anticléricale. Et le chanteur d’accélérer le chant; et le technicien bénévole de lui couper la chique au bout de quelques minutes ! Bec’h zo bet er C’Han ar Bobl. Ces chansons populaires du cru provoquaient parfois des tensions mais écrites et transmises depuis des siècles elles sont un patrimoine artistique et littéraire de première importance. Une forme de littérature orale.
Chants de tous pays... Tel autre air populaire présenté comme un air breton, est aussi connu dans d'autres régions qui le revendiquent également comme un air traditionnel de chez elles. L'érudition et les recherches de Jorj Belz aident à mieux comprendre ces phénomènes et à faire tomber quelques préjugés, voire quelques œillères.
La conférence, en français ponctué de breton, s'est terminée en chansons interprétées par le conférencier et par plusieurs autres membres de l'assistance, jusqu'à minuit passé. Le coq marans pas marrant n’a pas ouvert son bec de la soirée, quant au cheval fjord, il a exigé à la sortie son dû en caresses et en compliments... Lui aussi semblait avoir apprécié les chants populaires bretons.
Christian Le Meut
09:54 Publié dans Arzoù/Arts, Breizh/Bretagne, Brezhoneg/Langue bretonne, Istor/Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Bretagne forever !
Commentaires
Salud deoc'h,
Ne ouien ket re e-menn laoskel ur ger.
Amañ e ran neuze.
Just evit lâret deoc'h ho peus graet ur fari bihan en anv ho "catégorie" : skrivet e vez "arzoù" ha n'eo ket "arzhoù" ("des ours" e galleg !).
Met n'eo kalz a dra. Ha fentus, oc'hpenn !
Joa
Écrit par : gwenael Dage | 09/12/2005
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