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29/10/2005

Quel développement durable pour les langues de la planète ?

L’expression “développement durable” fait florès, mais il est surprenant de constater que la question des cultures et les langues ne semble pas être intégrées dans cette dynamique, en tout cas en France. Pourquoi ne pas envisager un “développement durable des langues” dans le but de sauvegarder la diversité linguistique et culturelle mondiale comme le soulignent, un livre remarquable paru en 2003, “Ces langues, ces voix qui s’effacent”, Daniel Nettel, anthropologue, et Suzanne Romaine, professeur d’anglais à Oxford (ed. Autrement).

Environ 6.000 langues sont parlées actuellement dans le monde, et la moitié risque de disparaître durant ce siècle. En australie “90 % des langues aborigènes sont proches de l’extinction”, et c’est aussi le cas de beaucoup de langues amérindiennes. Les zones de grandes diversité linguistique correspondent aux zones de grande biodiversité, constatent les auteurs mais “la disparition des langues semble refléter l’effondrement général des écosystèmes dans le monde”... Imposer à une population de changer de langue est, de ce point de vue, un crime culturel que certains textes fondamentaux sur les droits de l’Homme définissent clairement.

“L’importance culturelle du poisson”
“Le vocabulaire d’une langue est l’inventaire de tout ce dont une culture parle et de ce qu’elle a classifié afin de donner un sens au monde et de survivre dans un écosystème local. Ainsi, l’importance économique et culturelle du poisson se reflète dans les langues océaniques du Pacifique” (p. 65) notent les auteurs.

“Le savoir scientifique occidental sur la gestion des ressources marines, par exemple, est toujours très faible. La gestion des ressources est particulièrement difficile sous les tropiques, en raison de la grande diversité des fonds marins et de la multitude de formes de vie qui s’y trouvent” (...) “Malheureusement, à cause de l’influence de la technologie occidentale sur les pratiques de pêche traditionnelles dans les communautés des petits atolls, de nombreuses zones coralliennes du Pacifique subissent une pêche intensive, tandis que d’autres ne sont pas du tout utilisées. En outre, la connaissance détaillée des insulaires de leur environnement, essentielle à leur autosuffisance, a été érodée par l’introduction de l’éducation occidentale et de l’économie de marché.

Une connaissance approfondie des milieux
Jusqu’à récemment, les habitants de l’île de Kapingaramangi (Micronésie) pratiquaient des techniques de pêche sur plus de 200 espèces de poissons, aucune d’entre elle n’étant exploitée au point d’être menacée d’extinction.” Selon les auteurs, les techniques de pêche traditionnelle s’avéraient souvent supérieure aux techniques introduites. Certains types d’organisation sociale permettaient la préservation des espèces (zones de pêche interdite)...

“Les pêcheurs traditionnels, en particulier sur les petits îles où les gens dépendent toujours de la mer pour leur nourriture, constituent toujours de riches sources d’information, inconnues des scientifiques occidentaux. Des siècles avant l’apparition des biologistes, les habitants du Palau savaient que certains types de vibration pouvaient être utilisés pour attirer les requins. Les concombres de mer, par exemple, étaient traditionnellement utilisés en Océanie comme poison pour les poissons, mais les biologistes n’ont établie leur toxicité que dans les années 1950”. Les auteurs citent de nombreux autres exemples de connaissances véhiculées par les langues, notamment pour définir les différents stades de croissance de chaque espèce de poisson... Or ces savoirs risquent de disparaître avec ces langues. Les auteurs pointent également la recherche scientifique occidentale, peut portée sur l’étude des savoirs ancestraux. Ces savoirs pourraient, pourtant, apporter de nouvelles connaissances, voire de nouveaux outils d’analyse.

L’écologie des langues
“La langue fait partie d’une écologie complexe qui doit être protégée pour maintenir la biodiversité” soutiennent les auteurs qui constatent également que “La différence linguistique condamne l’Autre à être le sauvage” (p. 63). Un complexe colonial demeure, en effet, entre les langues dites “indigènes”, d’une part, et les langues colonisatrices d’autre part (anglais, français, espagnol...), qui jouissent d’un prestige culturel et d’un poids économique toujours très fort. Chaque année, des dizaines de langues meurent. Ce sont des outils de connaissances et des biens précieux de l’humanité qui disparaissent ainsi.

Christian Le Meut

Ces langues, ces voix qui s'effacent, D. Nettel, S. Romaine, Ed. Autrement, 19 €.

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