04/10/2005
La Turquie, pas en Europe ?
Le débat sur l’admission ou non de la Turquie dans l’Union européenne m’a rappelé une rencontre faite lors d’un voyage au Kosovo. Le Kosovo est en Europe, entre l’Albanie et la Serbie. J’y suis allé en 1995 avec des amis et, un jour, nous avons été accueillis par une famille dans la ville de Prizren, au sud du Kosovo. Cette famille albanaise parlait donc l’albanais et nous communiquions en anglais avec la jeune femme qui nous avait invités. Mais la mère de celle-ci, la grand-mère donc, parlait une autre langue, inconnue de nous. Le turc, langue quotidienne dans cette famille. Cette langue est encore parlée dans ce coin de l’Europe depuis des siècles. La Turquie ottomane a occupé le Kosovo et les Balkans pendant environ cinq siècles, pas moins...
Avant d’affirmer, comme le font certains opposants à son entrée dans l'Union européenne, que la Turquie n’est pas géographiquement en Europe, il faudrait peut-être repenser nos façons de voir l’Europe. Vous avez sans doute appris à l’école, comme moi, que la Terre compte cinq continents : Asie, Europe, Afrique, Amérique et Océanie... Mettons. Mais, si je lis bien la définition de ce qu’est un continent dans mon dictionnaire Larousse, je découvre ceci : “Vaste étendue de terre que l’on peut parcourir sans traverser la mer”. La définition correspond à peu près pour l’Australie, l’Amérique et l’Afrique, mais pas pour l’Europe et l’Asie... Qui ne font qu’un ! On peut les parcourir de Brest à Pékin, de Lisbonne à Vladivostok, sans traverser aucune mer.
Un "continent européen" ?
Le “continent” européen, d’un point de vue géographique, est une vue de l’esprit. Certains atlas utilisent d’ailleurs le nom Eurasie pour définir ce vaste continent qui va de Brest à Hanoi. Et c’est eux qui sont dans le vrai.
Nous avons appris que l’Oural et le Caucase sont les frontières Est de l’Europe... Mais au nom de quoi ? Pourquoi pas les Pyrénées ou les Alpes ? D’après ces frontières virtuelles la Tchétchénie se trouve donc en Europe, mais pas l’Arménie ou la Géorgie voisines... Si la Turquie n’y est pas, la Russie y est-elle ? La majeure partie de la Russie est hors de l’Europe. Par contre la Guadeloupe, La Réunion, La Martinique, Mayotte, la Guyane sont dans l’Union européenne. On y paye ses achats en euro... Et la Turquie ne pourrait pas entrer dans cette Union ?
Les frontières de l’Europe géographique n’en font pas un continent. Pourquoi nos ancêtres les ont-elle inventées, alors? Parce qu’ils pensaient, peut-être, être le centre du monde ? Pour ne pas se mélanger avec ces populations hérétiques qu’étaient les Arabes, Turcs et autres Chinois ? Peut-être aussi pour s’auto-persuader que l’Europe est réellement un continent, avec sa propre entité, sa propre unité... Sa propre supériorité ?
Quelle unité européenne ?
Mais qu’est-ce que l’Europe, si elle n’est pas géographique ? Un patrimoine historique ? L’histoire de la Finlande et celle de l’Espagne n’ont sans doute pas grand chose en commun. Linguistique ? Là aussi la diversité est de rigueur... Religieuse ? Certes, l’histoire européenne est marquée par le christianisme (catholique, orthodoxe, protestant, mais aussi cathare, etc), mais le judaïsme et l’islam y ont aussi eu leur place, ainsi que l’athéisme et les religions pré-chrétiennes, celtes, romaines, grecques... Et puis l’on constate également que les Chrétiens entre eux savent très bien se faire la guerre comme l’ont démontré les Irlandais du Nord, les Serbes et les Croates, ces dernières décennies, ainsi que les multiples guerres de religion qui parsèment l’histoire européenne...
Un projet politique
Alors, quelle unité ? Politique ? Non, républiques et royaumes se côtoient... Démocraties et dictatures aussi.
Mais depuis 50 ans cependant, l’Europe signifie quelque chose. Des Etats démocratiques se mettent ensemble pour bâtir un espace économique mais aussi politique. Ils élaborent des lois sur le commerce, sur la monnaie, les droits de l’Homme, l’environnement, les conditions de travail. L’Europe prend corps et, depuis tout ce temps, elle a maintenu la paix en son sein (mais elle n'y est pas forcément parvenue dans les Balkans)... Alors pourquoi ne pas accueillir, même dans dix ou vingt ans, la Turquie si ce pays accepte de respecter les règles européennes ? S’il avance dans le respect des droits humains, s’il aménage les droits de ses minorités que sont, notamment, les Kurdes ? Certes, l’armée turque a encore une trop grande place dans les institutions turques, les droits de l'Homme et de la Femme n'y sont pas encore garantis, mais ce pays modifie ses lois, depuis des années, pour correspondre au cadre européen, aux lois de l'Union européennes. La situation peut évoluer dans un sens positif et la Turquie peut entrer dans l’Union européenne.
Cela dépend aussi de nous.
Christian Le Meut
08:25 Publié dans Etrebroadel/International, Istor/Histoire, Politikerezh/Politique | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Mon commentaire, car ce billet porte sur un sujet sérieux, et je souhaite y intervenir avec le sérieux nécessaire.
La question est politique donc polémique.. Je met de côté le discours géographique, que vous avez bien exposé.
Si je suis pour une Union Européenne sans la Turquie (même dans 30 ans), c'est parce que je crois que c'est beaucoup trop tot et peut-être dangeureux, je m'explique : aujourd'hui l'Union Européenne n'est qu'un marché économique mais est très fragile politiquement (au niveau de la cohésion), le NON français et hollandais n'arrange pas les choses pour avancer vers une Union Européenne politique : c'est pour cela que les Etats-Unis peuvent aujourd'hui imposer et manipuler les états européens les uns contre les autres sans que l'Europe puisse faire entendre sa voix. On n'est pas capable d'avoir fait prendre conscience que l'élargissement à l'Est était nécessaire, on n'a pas été capable de gérer les Balkans en son temps, on n'est pas capable de faire que Bretagne et Normandie retrouve l'intégralité de leur territoire : et on veut continuer des élargissements???
En prenant la Turquie, on prend quoi après? la Syrie, Israel, Maghreb, Egypte.... sans fin? sans réflexion?
La Turquie comporte en son sein des "germes de risque", d'après moi : niveau social beaucoup plus faible, chappe de plomb étatique (celui ci étant plus fort qu'en France centralisée), question des minorités Kurdes et Arméniennes ignorées voir combattues, proximité moyen-orient et du pétrole, donc instabilité possible etc...
Les différentes élections en France depuis quelques années en France, montre que l'opinion n'est pas sereine, L'Union Européenne bafouille et est décriée en Europe, il y a un risque de renationalisation des Etats à cause de la mondialisation qui est crainte : les dirigeants veulent prendre les Turcs pour avoir bonne conscience, et on leur à fait miroiter leur entrée pour montrer que l'Europe est bonne...
L'Union Européenne n'a jamais été "intégré" et "digéré" par nos politiques ni par nos citoyens, et on continue à vouloir grossir le gâteau? Ira-t-on vers plus d'Europe ou vers plus de nationalisme?
Donc je ne pense pas que c'est une bonne idée, car pour toutes les raisons que j'ai dites, je crains vraiment pour la cohésion de l'Europe, et je crains à terme son morcellement.
Ce n'est que mon avis et vous avez le votre!
Cordialement,
Yuca de Taillefer, voisin normand.
Écrit par : Yuca de Taillefer | 04/10/2005
Tous vos arguments me paraissent recevables, Yuca. Je constate cependant que le processus de négociation est engagé depuis longtemps et je crois qu'il faut amarrer la Turquie à l'Union Européenne. Mais il est clair que celle-ci manque d'un projet politique porteur et d'élan.
Mon propos visait à expliquer que l'Europe n'est pas un continent, qu'elle n'a pas de frontières précises; il faut donc à l'Union européenne un projet clair pour susciter l'adhésion des populations déjà membres sans pour autant rejeter les autres...
Christian
Écrit par : christian | 05/10/2005
Les commentaires sont fermés.