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22/02/2007

Kenya : "Pourquoi j'ai décidé d'écrire en kikouyou"

medium_Kenya169.2.jpgParfois certaines lectures évoquent des pays lointains tout en nous parlant de nos propres réalités. Dans la revue Courrier international du 18 janvier un écrivain kenyan dont j’ignorais jusque-là l’existence, Ngugi Wa Thiong’o parle de sa langue maternelle, le kikouyou. Il s’agit de la langue la plus parlée dans la capitale du Kenya, Nairobi et dans les environs. Elle y est pratiquée par cinq million et demi de Kenyans.

Ngugi Wa Thiong’o, écrivain très célèbre dans son pays, a commencé par écrire et publier ses livres en anglais mais, depuis quelques années, il s’est mis à écrire et publier dans sa langue maternelle, le kikouyou, puis il propose une traduction  en anglais de ses livres. Cet écrivain est régulièrement interrogé sur le choix qu’il a fait, alors que, quand il écrivait en anglais, personne ne l’interpellait... Il explique ainsi son choix, je cite: “La colonisation a coupé l’Africain instruit de sa langue et, par la même, de tous les éléments qui forment son identité”. Ngugi Wa Thiong’o remarque que ces mêmes Africains instruits tirent fierté de ne plus pratiquer leur langue d’origine...

Fier de son ignorance... 
L’anglais étant langue officielle au Kenya, l’enseignement, l’administration, la justice s’y pratiquent dans cette langue. Du coup, quand ils sont face aux juges, la plupart des Kenyans doivent passer par un traducteur. “On peut dire, remarque Ngugi Wa Thiong’o, que l’Africain ordinaire est régi par un système juridique qui lui est littéralement étranger et qu’il affronte comme une force hostile”. Selon lui, l’indépendance n’a pas changé fondamentalement le rapport aux langues. “Dans mon livre “Decolonising the mind” (Décoloniser l’esprit), écrit-il, j’ai décrit comment ceux d’entre nous qui sont allés à l’école coloniale étaient souvent frappés quand on les surprenait à parler une langue africaine dans l’établissement. On nous faisait porter des pancartes disant que nous étions stupides ou idiots, et nous étions l’objet de rires et de railleries. Si nos langues étaient associées à la négativité et à l’humiliation, l’anglais évoquait des images positives de connaissance, d’intelligence, de pouvoir, de récompense, d’applaudissements. L’acquisition d’une langue coloniale demandait donc autre chose que des talents linguistiques : il fallait détourner notre esprit de notre propre langue pour le diriger vers une autre".

"Le résultat est catastrophique, poursuit l'écrivain, pour le psychisme de l’Africain instruit, qui, souvent, n’est pas simplement fier de sa maîtrise de l’anglais mais aussi de son ignorance de sa langue maternelle, évaluant sa modernité à l’aune de la distance qu’il a pu établir entre lui-même et sa langue d’origine.La triste réalité est que, même dans l’Afrique indépendante d’aujourd’hui, les enfants sont humiliés lorsqu’on les prend à parler une langue africaine dans leur école et ils n’ont personne à qui se plaindre dans la mesure où leurs propres parents sont persuadés que l’instituteur a un comportement moderne. C’est ainsi que les pouvoirs publics, les enseignants et les parents sont de connivence dans cet acte d’automutilation”.

"Inepties coloniales" 
Ngugi Wa Thiongo est favorable au multilinguisme qu’il perçoit comme un atout, mais il condamne le rejet de la langue maternelle : “Le psychisme de l’Africain instruit reste dominé par des inepties coloniales, d’où la nécessité et l’urgence de décoloniser l’esprit”, écrit-il. Ngugi Wa Thiong’o parle de sa langue maternelle, le kikouyou, et de son pays, le Kenya. Mais ici aussi, en Bretagne, des langue du peuple, que sont le breton et le gallo ont eu à subir le mépris conformistes des élites couplés à des politiques officielles d’éradication. Nous ne sommes pas en Afrique mais n’aurions-nous pas, nous aussi, besoin de décoloniser nos esprits ?

Christian Le Meut