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01/02/2010

L'identité française : une devise, "liberté, égalité, fraternité" à mettre en pratique

Selon un sondage CSA-Le Parisien publié fin 2009, la langue française est plébiscitée comme “élément constitutif” de "l'identité de la France" par (80%) des sondés devant la République (64%), le drapeau tricolore (63%), la laïcité (61%) les services publics (60%).  80 % ! La croyance selon laquelle parler une langue unique (ou commune), est indispensable pour créer une “identité”, une “nation”, est largement répandue en France, malgré quelques faits qui contredisent cette croyance.

Premier fait : la France est multilingue, entre les langues parlées dans certaines régions depuis des siècles, voire avant l’apparition du français (Pays Basque, Bretagne, Alsace, Occitanie, Flandres, Corse...), et les langues des populations immigrées.

Deuxième fait : les frontières linguistiques ne recoupent pas les frontières nationales puisque la Suisse romande et la Wallonie belge ne sont pas en France. Suisse, Belgique, tiens donc, deux pays multilingues. Le premier n’a pas l’air d’en souffrir. On annonce depuis longtemps l’éclatement du second, mais il tient.

Troisième fait : pendant des siècles, et aujourd’hui encore, des millions de citoyennes et de citoyens français n’ont pas parlé le français. Les Bretons le savent bien. J’ai moi-même, qui suis né en 1964, connu quelques personnes âgées qui parlaient très bien leur langue maternelle, la langue bretonne, mais maîtrisaient très mal, voire pas du tout, le français. Des générations de Bretons, d’ailleurs, ont pris le français à l’école et n’ont pas pu jouir d’un droit que la convention des droits de l’enfant reconnaît désormais : celui d’être alphabétisé dans sa langue maternelle, ce qui n’empêche pas l’apprentissage précoce d’une seconde langue. Aujourd’hui, certaines personnes âgées d’une soixantaine d’années se souviennent qu’elles ne parlaient pas un mot de français en arrivant à l’école. Elles y ont appris la langue française, souvent punies quand elles parlaient breton. Il doit encore y avoir aujourd’hui, probablement, des milliers de Français qui ne parlent pas, ou très mal, le français, parce que leur langue maternelle et quotidienne est le créole, ou une langue amérindienne, ou une langue kanak...

Quatrième fait : une langue commune (souhaitable évidemment, si elle n’entraîne pas la mort des autres langues du territoire), n’est en rien suffisante pour créer une unité nationale. Les élites étasuniennes parlaient anglais et ça n’a pas empêché la guerre de Sécession au XIXe siècle. Les guerres civiles d’Espagne, d’Irlande, montrent bien qu’une langue commune n’est pas suffisante, et en France non plus : la guerre d’Algérie, la guerre entre résistants et collaborateurs entre 1940 et 1945, le montrent. En Yougoslavie, toutes les élites intellectuelles parlaient le “serbo-croate”, langue commune aujourd’hui éclatée en plusieurs langues officielles soi-disant différentes (croate, serbe...). Mais le pays a éclaté quand même,  à partir du conflit au Kosovo (1988-89), parce que Milosevic, adoptant un discours nationaliste, a supprimé les libertés des albanophones de cette région, notamment la liberté d’être scolarisés dans leur langue.

Contrat social
La langue commune est donc loin d’être suffisante pour créer une nation, ni même un contrat social dans lequel se retrouverait une population. Alors quoi donc ? La prospérité économique est un facteur essentiel, à condition que les richesses soient équitablement partagées. Or, aujourd’hui, l’Etat redistribue des impôts aux très riches. Est-ce cela, la République ? Il y a donc un modèle social à construire, qui garantisse l’accès à la santé, au logement, au travail, à un environnement sain, à l’éducation. Mais une éducation citoyenne, qui cherche à former des êtres humains épanouis, pas des futurs travailleurs à la chaîne. Un modèle politique qui agisse concrètement contre la discrimination. Un modèle politique, enfin, qui garantisse les droits des citoyens, et des minorités. L’Etat français continue d’être hyper centralisé et normatif. Les habitants des régions existent-ils ? Quand  20.000 personnes manifestent dans les rues de Carcassonne, en octobre 2009, ou dans celles de Rennes, en mars 2003, pour demander un vrai statut des langues régionales, pourquoi les médias dits “nationaux” en parlent-ils si peu ? pourquoi cela suscite-t-il si peu d'intérêt à Paris ?

Alors, la langue française, “élément constitutif” de de la France, de l’identité nationale ? Beaucoup de Français le croient, manifestement. Mais on peut être Français et ne pas parler le français. Et le fait de parler une langue commune ne garantit contre rien. Contre aucune injustice, contre aucune régression sociale, contre aucune avancée du libéralisme sauvage, contre aucune atteinte à la nature. Les pires pratiques sociales, les pires discours racistes, violents, diviseurs, peuvent se tenir en français, comme dans n'importe quelle autre langue.

Droit à la différence
Et chercher à imposer le français comme langue unique, en niant l’existence ou la valeur des autres langues de France, constituerait une injustice et une violation des droits de l’Homme. Alors il faut chercher plus loin, plus profond, autre chose. Dans un nouveau contrat social qui peut continuer à s’articuler autour des idées de démocratie et de république, de liberté, d’égalité, et de fraternité. Du droit à la différence. Idées qu’il faut mettre en pratique bien plus profondément qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Christian Le Meut

* Sondage effectué par téléphone les 28 et 29 octobre 2009 auprès d'un échantillon  représentatif de 1.006 personnes majeures, selon la méthode des quotas.

Commentaires

On peut entendre beaucoup de choses ahurissantes dans ce "débat" sur l'identité nationale française. Morvan Lebesque doit se retourner dans sa tombe !

Écrit par : Maheu | 06/11/2009

Christian,
Je pense qu'il faut bien distinguer les sens respectifs de : élément constitutif, unique, commun, démocratie, république.
Notre problème vient du fait que la langue soit l'élément constitutif dominant de l'identité et non pas simplement un moyen de s'assurer que tous les français puissent participer au débat démocratique. D'où le glissement de langue commune, suffisante pour ce débat, à langue unique assurant une même identité. (*)
Par ailleurs la France a donné au mot "république" un sens spécial différent de "démocratie". Mona Ozouf dans son livre fait référence à un article de Régis Debray dans le Nouvel Obs : "Etes-vous démocrate ou républicain ?". La démocratie, dit-il, à la différence de la république, protège les minorités et donc (je ne me souviens plus des termes exacts) elle n'a pas conscience de l'histoire.

(*) Ce qui empêche d'avoir une conception saine de la francophonie.

Écrit par : yann | 02/02/2010

"Quatrième fait : une langue commune (souhaitable évidemment, si elle n’entraîne pas la mort des autres langues du territoire)"

Christian,

La langue commune n'a rien de souaitable et n'existe pas plus en Suisse qu'en Inde.

La langue commune est forcément la langue de l'Etat qui tendra pratiquement toujours à en faire une langue unique.

Un Etat démocratique doit savoir pratiquer le multilinguisme, et le projet européen est bien de créer une entité démocratique où les citoyens sont égaux tout en parlant des langues différentes.

Dans une entité plurilingue, les citoyens doivent aussi pratiquer le plurilinguisme.

"II. - Ce que nous venons de dire de la race, il faut le dire de la langue.
La langue invite à se réunir ; elle n'y force pas. Les États-Unis et l'Angleterre, l'Amérique espagnole et l'Espagne parlent la même langue et ne forment pas une seule nation. Au contraire, la Suisse, si bien faite, puisqu'elle a été faite par l'assentiment de ses différentes parties, compte trois ou quatre langues. Il y a dans l'homme quelque chose de supérieur à la langue : c'est la volonté. La volonté de la Suisse d'être unie, malgré la variété de ses idiomes, est un fait bien plus important qu'une similitude souvent obtenue par des vexations.

Un fait honorable pour la France, c'est qu'elle n'a jamais cherché à obtenir l'unité de la langue par des mesures de coercition. Ne peut-on pas avoir les mêmes sentiments et les mêmes pensées, aimer les mêmes choses en des langages différents ? "

Renan, Qu'est-ce qu'une nation ? 1882

Malheureusement, le fait "honorable" pour la france n'existe pas.

Écrit par : Alwenn | 03/02/2010

Merci Alwenn pour cette belle citation de Renan, qui date de 1882, avant, donc, que la République n'engage une politique active de marginalisation-éradication des langues régionales. Concernant la langue commune (et non unique), vos remarques sont intéressantes. Cela dit, le multilinguisme, dans un Etat comme la Suisse, est très relatif, comme en Belgique."
Kenavo
CLM

Écrit par : Christian | 03/02/2010

"La volonté de la Suisse d'être unie, malgré la variété de ses idiomes, est un fait bien plus important qu'une similitude souvent obtenue par des vexations."

la volonté de qui ? et dans quel pays ? un pays qui règle sa neutralité en dark funds et actifs blets... nos banquiers aussi se mettent au plurilinguisme : CM, CA... de là à dire qu'il s'agit d'une démarche culturelle et par là désintéressée ?

Écrit par : garon | 03/02/2010

Il y a quelque temps j'ai vu, partiellement, une rediffusion de l'ancienne émission TV : "5 colonnes à la une" traitant de la Suisse. Ce que j'en ai retenu concerne plus particulièrement les minorités :
- la déclaration d'un responsable du canton de Fribourg :"On ne doit jamais oublier que la linorité est aussi importante que la majorité"
- il y avait un interview du leader du mouvement jurassien francophone demandant à être détaché du canton de Berne germanophone. Il venait d'essuyer le refus de celui-ci. Qu'allait-il faire lui demanda-t-on ? "Nous allons prendre notre bâton de pèlerin et faire le tour des cantons suisses. Cela va nous prendre 20 ans. Mais nous y arriverons, car la Suisse n'a pas d'autre raison d'être que de permettre aux minorités de s'épanouir." Et effectivement il fut finalement créé un canton du Jura.

L'affaire de la banque UBS, le secret bancaire, l'affaire des minarets sont bien commodes pour les républicains français cédant à l'allergie à la complexité ou au raisonnement par amalgamme, pour écarter les bonnes choses démocratiques existant en Suisse.

Écrit par : yann | 04/02/2010

Bonjour
Message pour Garon : on ne peut réduire la situation de la Suisse à ses seuls banquiers ! Et je rappelle que la citation de Renan date de 1882 ! Gare aux anachronismes.
Kenavo
CLM

Écrit par : Christian | 04/02/2010

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