02/09/2009
"Pourquoi avez-vous créé un blog dans la langue bretonne et pas seulement en français?"
Un étudiant allemand, Stefan, m'a contacté via Rezore, dans le cadre de ses études, pour me poser la question qui sert de titre à cette note. Voici la réponse que je viens de lui envoyer.
"Bonjour Stefan
Tout d'abord merci ("trugarez", en breton), pour l'intérêt que vous portez à la langue bretonne, et au blog que j'ai créé, Rezore (diminutif de "re a zo re" : "trop c'est trop" en français).
Rezore est né en mars 2005. A l'époque, quelques journaux avaient mentionné cette création (le mensuel Le Peuple Breton, le quotidien Le Télégramme dans sa page du jeudi). Depuis, Rezore a été mentionné par beaucoup d'autres sites, ou mis en lien, mais je constate que c'est la première fois que quelqu'un m'interroge à ce sujet : jamais un étudiant breton ou français, aucun journaliste breton (ou français), ne m'a posé une telle question. Même chose pour les journalistes, médias, et étudiants bretonnants (parlant breton), alors même que certains consultent Rezore. D'autres ne le consultent pas et ne s'intéressent aux blogs en breton, ni aux sites internet, tant pis pour eux, ils (ou elles), négligent ainsi des sources d'information...
Pourtant il y a une présence du breton sur internet (Wikipédia...), et sur les blogs et je pense que c'est un sujet intéressant à traiter mais, pour une grande partie des médias nationaux français (basés à Paris pour la plupart), et du monde universitaire, les langues régionales n'existent pas. Je veux dire par là qu'elles ne sont pas un sujet d'intérêt, elles sont hors de leur champs de vision, autant le breton que les autres régionales pourtant encore parlées par des millions de personnes. C'est un peu un sujet tabou, mis de côté, soit réduit à du folklore, soit méprisé, soit gênant, notamment parce que la langue française est vue comme un "ciment" de la nation et que la présence d'autres langues historiques dans l'Hexagone dérange ce schéma. Mais il y a certainement d'autres explications.
Cette indifférence n'est pas grave en ce qui concerne Rezore, qui vit sa vie, mais c'est plus une problème pour les langues régionales qui ne font pas l'objet de l'intérêt qu'elles mériteraient (en tant que richesses culturelles, scientifiques, populaires...), ni du soutien politique que leur situation demandent puisque la plupart des langues régionales en France voient le nombre de leurs locuteurs baisser, et très rapidement. De un million vers 1950, ce nombre est passé à 200.000 aujourd'hui, pour le breton.
Je ne suis donc pas surpris, dans ce contexte, que le premier étudiant qui s'interroge (et m'interroge), sur Rezore ne soit ni breton, ni français... ! Votre intérêt est d'autant plus méritoire. J'en arrive donc à votre question :
Pourquoi avez-vous créé un blog dans la langue bretonne et pas seulement en français? C'est-à-dire qu'elle est votre intention ?
J'ai appris à écrire, lire et parler breton en 2001/2002, lors d'un stage de formation de six mois assuré par l'association Stumdi, financé par la région Bretagne, et alors que j'étais chômeur. Le français est ma langue maternelle mais le breton est ma langue d'origine : tous mes grands parents le parlaient; mon grand-père maternel avait appris à lire le breton au catéchisme. Mais le breton était alors exclu de l'école, autant comme langue d'enseignement que comme matière à enseigner et, dans les années 1950, les familles, pour aider leurs enfants à obtenir de bonnes situations professionnelles, ne leur ont pas transmis cette langue, perçue comme quelque chose de peu d'importance, sans valeur, et arriérée. Parler breton était dépassé, pas moderne, sans intérêt, a-t-on fait croire aux gens.
Ainsi, les parents de mon père parlaient breton entre eux et devant les enfants, mais s'adressaient en français aux enfants. Mon père comprend donc beaucoup de choses en breton, peut dire quelques phrases, mais n'a jamais réellement parlé. Il n'a pas non plus appris à écrire et lire sa langue maternelle. La situation est proche en ce qui concerne ma mère. Personnellement, dès mon adolescence, dans les années 70, j'ai réalisé que cette situation était injuste et anormale. Ce n'est qu'au lycée que j'ai pu commencer à apprendre ma langue d'origine, en terminale. J'ai ensuite essayé par différente méthode mais, habitant hors de Bretagne, c'était difficile.
Quand je suis revenu vivre en Bretagne, en l'an 2000, j'ai saisi cette opportunité d'apprendre le breton. En sortant de la formation, n'ayant pas trouvé de travail en breton, j'ai décidé de proposer à une radio associative bilingue, Radio Bro Gwened, d'écrire et de dire une chronique en breton par semaine. Il s'agissait, pour moi, de mettre en pratique l'acquis de ma formation, et de ne pas le perdre. J'ai donc, pendant cinq ans, tenu une chronique, en breton uniquement tout d'abord, puis bilingue. Certaines de mes chroniques furent éditées dans différents journaux et j'ai cherché, sans succès, à les faire éditer en livre. J'ai découvert, en 2005, l'existence des blogs et j'ai donc décidé d'en créer un pour partager gratuitement mes chroniques radio sur internet. C'est ainsi qu'est né Rezore.
Au fil du temps, Rezore est devenu une sorte de "minimédia" traitant principalement de questions linguistiques et bretonnes, mais pas exclusivement. Je souhaiterais y parler plus de choses que j'aime (livres, musiques, films, lieux, etc), mais je manque souvent de temps.
Publier un blog en breton est une façon de donner de la matière à lire et à découvrir aux bretonnants. Un blog est un lieu d'échange, à travers les commentaires. Le breton est une langue vivante et rezore contribue, modestement, à la présence de cette langue vivante sur internet.
Je pense aussi, pour certains sujets politiques et/ou linguistiques, qu'il est important d'en parler en breton et en français. Parfois, les bretonnants débattent entre eux et les personnes qui ne parlent pas breton mais qui s'intéressent, n'ont pas accès à ces débats, c'est dommage. Et pour les gens qui ignorent tout de la situation des langues régionales, et ils sont nombreux en France, il n'est pas mal de leur donner à lire en français sur ce sujet. Le bilinguisme, de ce point de vue, peut aider à décloisonner, à échanger, à informer, à sensibiliser...
Rezore est donc, modestement encore, un petit lieu de débat démocratique, en breton et en français.
Pour moi, le fait d'avoir appris le breton est un acte de résistance culturel et politique. Ma génération, la précédente et les suivantes, ont été assignées à l'ignorance en ce qui concerne le breton. Une politique massive a été menée par l'Etat français, pour éradiquer le breton comme langue maternelle, et il y a impliqué la population. Pour moi, il s'agit d'une forme de colonialisme culturel. L'Etat français pouvait introduire l'enseignement et la pratique du français sans chercher à supprimer les autres langues existantes, ce qu'il n'avait pas le droit moral de faire.
Le recours à l'oppression linguistique, pour transformer les populations, a été utilisé dans les pays colonisés par la France, mais aussi dans les régions de l'Hexagone. Cette attitude n'est pas compatible avec les droits de l'Homme et la démocratie. Un Etat démocratique, qui se prétend champion des droits de l'Homme, qui plus est, ne peut pas se comporter ainsi. C'est mon opinion. Apprendre le breton est donc un acte de résistance culturelle, politique et démocratique, contre un arbitraire d'Etat. Créer un blog bilingue, publier (de temps en temps), des articles dans les revues bretonnes, militer dans une association culturelle bretonne, sont, pour moi, des actes de résistance à cet arbitraire.
Voila pourquoi j'ai créé Rezore.
Rezore, depuis sa création en mars 2005 a eu environ 250.000 visites (2.000 visiteurs uniques par mois environ, 5.000 à 6.000 visites).
J'espère avoir répondu à vos questions et je suis à votre disposition pour des précisions éventuelles".
Christian Le Meut
22:38 Publié dans Brezhoneg/Langue bretonne, Web | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : breton, brezhoneg, blog
Commentaires
Bravississimo !
Si tout le monde pouvait avoir la même honnêteté intellectuelle et le même esprit de résistance.
Écrit par : Alwenn | 03/09/2009
Bravo, tout cela méritait d'être dit !
Écrit par : Maheu | 03/09/2009
Setu komzoù fur ha sklaer. Gourc'hemennoù deoc'h! Kendalc'hit e giz se.
Écrit par : Kilian | 04/09/2009
Bonjour,
Je mets un point final à un roman qui se passe en Bretagne. Mon personnage principal vit à l'ile de Bréhat.
Pourriez-vous me traduire "Bienvenue à Bréhat" et "Bon retour chez toi" qui sont les derniers mots du livre ... Et peut-être aussi le titre.
J'espère que vous pourrez m'aider. Dommage que je ne parle pas cette jolie langue régionale... car mes gds-parents côté paternel étaient de Lorient...
Un grand merci par avance.
Cordialement. Patricia Le Garf
Écrit par : LE GARF | 16/10/2011
Les commentaires sont fermés.