14/05/2008
Langues régionales : propos de sénateurs
Deux débats ont eu lieu sur les langues régionales, l'un à l'Assemblée Nationale, la semaine dernière, l'autre au Sénat, hier. Ils ont été plutôt de bonne tenue, à ce que j'ai lu, sauf exception comme Jean-Luc Mélenchon. Le site Oui au breton (lien dans la colonne de gauche), publie l'intégralité des interventions des sénatrices et sénateurs. Le débat à l'Assemblée peut être consulté sur internet (lien direct dans la note du 8 mai). J'ai relévé quelques citations intéressantes de ce qui a été dit au Sénat : je conseille particulièrement celles de Jean-Paul Alduy, sénateur UMP des Pyrénées-Orientales, et j'ai ajouté parfois des commentaires en italiques.
Gérard Le Cam, PC, Côtes d'Armor : "La langue bretonne est en danger, selon l’Unesco : trois locuteurs sur quatre ont plus de 50 ans, les locuteurs actifs représentent moins de 5 % de la population des départements bretons. Le processus historique de construction de la Nation française a confondu unité et uniformité ..."
"De 2000 à 2006, l’État a consacré 3,2 millions au breton, soit douze fois moins que les départements ! M. Alfonsi (sénateur de Corse à l'origine du débat - Note de Rezore) a raison d’évoquer des obligations à la charge de l’État, dont l’engagement reste très relatif. Je cite Csaba Tabadji, député européen hongrois, président de l’intergroupe Minorités traditionnelles, régions constitutionnelles, langues régionales : « En France, les cultures et langues dites régionales, qui font partie intégrante des cultures et des langues européennes et de l’humanité, exclues de l’espace public par la législation, marginalisées, sont en voie de disparition rapide de la vie sociale malgré la résistance de l’auto-organisation souvent exemplaire des populations, avec le soutien de leurs élus, dans un cadre juridique, administratif et idéologique hostile. Après des décennies d’éradication, l’enseignement de ces langues reste très marginal et leur place dans les médias, notamment la radio et la télévision, est extrêmement réduite. »
- Citation intéressante que celle de ce député européen Csaba Tabadji; Gérard Le Cam a été interrompu dans son intervention par le sénateur PS Jean-Luc Mélenchon qui a qualifié les écoles associatives non-confessionnelles gratuites Diwan de "secte". Diffamons, diffamons, il en restera toujours quelque chose...
Colette Mélot (UMP Seine-et Marne) : "La langue française est garante de l'unité de nôtre pays".
- Ah bon ? Entre 1940 et 1945 les collaborateurs et les Résistants parlaient tous français, ce qui ne les empêchaient pas de s'entretuer. En ex-Yougoslavie, Serbes, Croates et Bosniaques parlaient la même langue, cela n'a en rien empêché l'éclatement. Et la guerre d'Irlande entre anglophones ? Et la guerre de sécession aux Etats-Unis ? Et les multiples guerres civiles dans l'histoire du monde ?... La Suisse officiellement multilingue est-elle plus ou moins "unie" que la France ? Le respect des droits démocratiques, civils et religieux, le respect des minorités, la justice sociale, l'accès à l'éducation, la prospérité économique, sont des garanties de paix et d'unité bien plus efficaces que l'uniformité linguistique, me semble-t-il.
Jean-Luc Mélenchon (PS) : "Je n’accepte pas la caricature qui voudrait faire croire que la République française réprime ou méprise les langues régionales. La France s’est dotée dès les années cinquante d’un cadre législatif très favorable, en avance sur beaucoup de pays d’Europe. La loi du 11 janvier 1951 du socialiste Maurice Deixonne a autorisé et favorisé l’apprentissage dans l’enseignement public du basque, du breton, du catalan et de l’occitan. Le corse a été ajouté en 1974, le tahitien en 1981 et quatre langues mélanésiennes en 1992. Depuis 1970, ces enseignements en langues régionales peuvent être pris en compte pour l’obtention du baccalauréat."
- La loi Deixonne de 1951, un "cadre législatif très favorable" ? De qui se moque notre cher sénateur ? J'en ai profité personnellement de cette loi : deux heures de cours par semaine en option, à partir du lycée seulement, entre 13h et 14h (pendant que les autres élèves se reposaient), par des professeurs volontaires (donc pas de relève en cas de départ d'un prof...). C'était une avancée par rapport à la situation précédente d'exclusion totale, mais une toute petite avancée. Insuffisant, en tout cas, pour garantir la pérennité d'une langue.
"Une définition aussi floue de ce qu’est une langue régionale ou minoritaire est discriminatoire et aboutit à des reconstructions de l’histoire. La langue bretonne est celle qui résulte du dictionnaire dit unifié de 1942, qui se substitue aux cinq langues bretonnes existantes. Je n’évoquerai pas son auteur, collaborateur qui fut condamné à mort par contumace, ni les conditions dans lesquelles ce dictionnaire fut rédigé et financé à l’époque..."
- Un grand linguiste, ce M. Mélenchon et un grand historien aussi, probablement, qui ignore, peut-être, que les lois françaises ont été, sous la Révolution, traduites dans plusieurs langues régionales, notamment le breton. C'était plus sûr pour être bien compris du peuple ! Donc, entre 1789 et 1793, la République traduisait ses lois en langues régionales et il y avait déja une écriture pour le breton; Les "cinq langues" dont il parle ici, sont les cinq dialectes bretons qui n'empêchent pas l'inter-compréhension. Enfin, le fait que des grammairiens et intellectuels bretons aient travaillé à l'unification de la langue écrite sous l'occupation nazie, et avec la bénédiction de l'occupant, est une erreur et une faute, j'en conviens aisément. Mais l'Académie française a-t-elle arrêté de travailler sous l'occupation ? Elle a continué, comme toutes les administrations françaises. Faut-il tirer de la collaboration vychiste des arguments contre la langue française ? Evidemment non, ce serait ridicule. Les vociférations antisémites de Louis-Ferdinand Céline ne discréditent pas la langue française (d'ailleurs il continue d'être étudié au lycée), alors pourquoi s'obstiner contre la langue bretonne ? Enfin "l'auteur" qu'évoque M. Mélenchon, s'appelait Roparz Hémon et n'a jamais été condamné à mort mais à dix ans d'indignité nationale en 1945. M. Mélenchon, est-il soucieux des faits historiques ?
Raymond Couderc, sénateur UMP (Hérault) : "L’absence de statut juridique justifie de nombreux blocages. Ainsi, récemment, un recteur pourtant bien disposé à l’égard des langues régionales justifiait l’interdit de l’immersion en disant que si elle était accordée, il faudrait aussi la permettre pour le chinois, l’arabe et le turc. Mais le destin de ces langues ne se joue pas en France, contrairement à celui de l’occitan et des autres langues régionales !"
Alima Boumediene-Thiery (Les Verts - Paris) : "Certains disent redouter un communautarisme. Pourquoi la reconnaissance, encadrée, des langues régionales créerait-elle du communautarisme ? Ces langues sont transmises depuis des générations, cela n’empêche pas de parler français ! Ce dont il s’agit, c’est d’organiser la coexistence de la langue française avec les langues minoritaires, pas de substituer l’une à l’autre. Les langues régionales sont source d’enracinement et de cohésion sociale, l’unité de la République n’est pas menacée par elles : au contraire, elle est préservée dans sa diversité. L’identité française est également faite de ses différences, de ces enrichissements linguistiques. Le nier reviendrait à nier une bonne partie de notre patrimoine. Reconnaître cette diversité culturelle plutôt que la nier est le plus sûr moyen de préserver l’identité républicaine. Si nous voulons être tous égaux, commençons par admettre que nous sommes aussi tous différents."
Jean-Paul Alduy (UMP - Pyrénées Orientales) : "Je ne m’adresserai pas à vous en catalan. Non que je sois incapable de m’exprimer dans cette langue parlée par 10 millions d’Européens, la huitième langue d’Europe. Certes, l’école de la République m’avait interdit l’accès à cette langue et, dans ma jeunesse, on écrivait sur les murs des préaux : « Soyez propres : parlez français!» mais, depuis lors, j’ai appris cette langue et conduit une politique active de reconquête de la culture et de l’identité de Perpignan la Catalane. Si je ne m’adresse pas à vous en catalan, c’est que je veux être compris par tous, que je veux respecter notre unité, forte de nos diversités. Je suis pour la catalanité qui enrichit et non pour le catalanisme qui dresse des frontières et réduit notre espace économique, social et culturel" (...).
"Le débat que nous avons aujourd’hui doit être abordé en termes sereins. Il ne doit être ni folklorisé ni caricaturé. Le fait de n’avoir pas, dès l’origine de notre République, dès la proclamation des Droits de l’Homme, considéré la protection de la langue et de la culture d’origine comme un droit fondamental, est, même si cela s’explique par la préoccupation de donner naissance à un État moderne et homogène, une erreur historique que n’ont pas faite d’autres pays européens. A l’heure où l’on défend la biodiversité comme une valeur cardinale, garante du respect des différences, cette exception apparait comme une crispation idéologique sans véritable fondement logique." (...) .
"Parler catalan, basque, alsacien, occitan, breton ce n’est pas ringard, c’est posséder une identité multiple, une interculturalité qui sera, demain, le socle de nos sociétés. Les langues régionales, ce n’est pas la France d’hier, ce sont les racines de la France de demain."
- J-L. Mélenchon n'accepte pas que l'on accuse la France d'avoir réprimé les langues régionales. Pourtant, son collègue des Pyrénées Orientales donne un exemple très concret à travers ce slogan qu'il a vu sur les murs des préaux : "« Soyez propres : parlez français!»
Jacques Gillot (apparenté PS - Guadeloupe) : "Le refus de l’ouverture engendre les communautarismes, les frustrations et, parfois, les blessures. Aucune langue n’est petite pour ceux qui l’habitent ! Je formule donc le voeu que la Charte européennes des langues minoritaires soit ratifiée sous peine de rétrécir linguistiquement une France méritant mieux que des refus obstinés et des aveuglements culturels. Les langues aussi ont besoin de liberté, d’égalité et de fraternité !"
Christine Albanel (ministre de la culture) : "Une loi donnera une forme institutionnelle au patrimoine linguistique de la nation en récapitulant les dispositions existantes et en ouvrant la voie à une avancée de la démocratie culturelle dans notre pays. Elle concernera l’enseignement, les médias, les services publics, ainsi que la signalisation et la toponymie. Originaire de l’Ariège et de Toulouse, j’aime, comme plusieurs orateurs, profiter des doubles noms indiquant les rues et les lieux. Ce texte, qui sécurisera l’usage des langues régionales, conformément au souhait du Président de la République, devrait voir le jour en 2009, et le Gouvernement compte sur la représentation nationale pour contribuer à l’améliorer".
- Un texte qui "sécurisera" l'usage des langues régionales, qu'en termes inquiétants et policés ces choses là sont dites. Pour l'instant la seule chose concrète qui sort de ces débats au parlement est le refus persistant du gouvernement de ratifier la charte européenne des langues régionales. La Constitution sera-t-elle modifiée ? Pas sûr... Quelles seront les avancées de cette future loi qui sortira en 2009, soit l'année précédant les élections régionales ? On n'en sait rien pour l'instant...
Christian Le Meut
22:15 Publié dans Brezhoneg/Langue bretonne, Galleg/français, Gwirioù mab den/droits de l'être humain, Politikerezh/Politique, Yezhoù/langues | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Langues régionales, Sénat, débat
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