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21/05/2006

Foot et esclavagisme : Lorient 2, Vannes 0...

Je débutais une nuit de sommeil réparatrice un vendredi soir récent quand j’entendis quelques coups de klaxon dans les rues d’Hennebont. Voilà comment je sus que Lorient avait gagné et montait en Ligue 1. Quelques supporters venaient faire partager leur joie aux Hennebontais endormis comme s’il fallait forcément que tout le monde soit concerné par les exploits footballistiques des Merlus.
Lorient monte donc en L1, comme on dit. Et il paraîtrait que c’est une bonne nouvelle pour l’économie et la renommée de la ville... A voir car les Merlus sont déjà montés en Ligue 1 et en sont vite redescendus. Quant à l’économie, si l’on mettait d’un côté l’argent investie par les collectivités locales dans le foot, et de l’autre, les entrées occasionnées, le solde serait-il réellement positif ? Et cet argent placé dans d’autres activités n’aurait-il pas créé plus d’emplois, par exemple ? Vastes questions auxquelles un piètre économiste comme moi ne peut pas répondre mais qui, par ailleurs, ne sont pas tellement posées...
Vannes, préfecture du Morbihan et rivale historique de Lorient, par contre, reste en “nationale”, l’équivalent de la troisième division. Dans le domaine du foot Lorient est donc largement en tête.

Commerce triangulaire : Lorient en tête
Et Lorient distance probablement Vannes dans un autre domaine que l’on a redécouvert récemment, celui de la traite négrière. Et oui, nos ports bretons comme Nantes, Vannes, Lorient, Saint-Malo, ont prospéré pendant des décennies, voire des siècles, sur ce commerce d’êtres humains. On appelait cela le “commerce triangulaire”. Les bateaux partaient d’Europe les cales chargées de marchandises pouvant être échangés sur les côtes africaines contre des personnes réduites à l’état d’esclaves. Ces Africains là avaient été capturés par d’autres Africains qui profitaient eux aussi de ce commerce juteux (1). 20 à 25 % mouraient pendant le voyage d’après les historiens, puis ce “bois d’ébène” comme on appelait ces êtres humains, était vendu aux Antilles ou aux États-Unis. Les bateaux revenaient chargés de sucre ou de café. J’avais bien étudié ce “commerce triangulaire” au lycée, mais sans réaliser que Lorient, la ville où j’étudiais, était concernée. Sans réaliser que la fameuse “Compagnie des Indes” avait, elle aussi, largement participé à ce commerce.

Guillo du Bodan, maire esclavagiste
Un historien vannetais, Patrick André, évalue à 2.000 le nombre de personnes déportées “par une dizaine d’armateurs vannetais” (Le Télégramme du 3 mai). L’un d’eux, M. Guillo du Bodan, put acheter la charge de maire de la ville grâce à l’argent ainsi gagné, les maires, à l’époque, n’étaient pas élus. Une rue de Vannes porte son nom depuis 1967, décision que l’on doit à Raymond Marcellin. Il y a donc une rue à rebaptiser à Vannes.
Pour Lorient, je n’ai pas vu de chiffres, mais Brigitte Nicolas, conservateur en chef du musée de la Compagnie des Indes rappelle, dans Le Télégramme du 5 mai (édition de Lorient), que la traite a été une activité importante de la compagnie à la fin du XVIIIe siècle. “Lorient a même été le premier port négrier entre 1723 et 1725” précise-t-elle. Elle cite un autre historien, Olivier Pétré-Grenouillau : ”On ne peut pas dire clairement que la traite a enrichi la Bretagne, mais on peut dire qu’elle a enrichi certains Bretons...” Lorient distance donc encore Vannes, mais pas de quoi être fier.

Des invités et des évités
Les débats sur la mémoire historique française ont cela de bon qu’ils remettent à jour des faits que nous avions oubliés. Le 10 mai est devenu une journée de commémoration. Très bien. Une cérémonie officielle a même été organisée à Paris, dans les jardins du Luxembourg, en présence du président Chirac. et de madame, pourquoi pas ? Mais sur invitation uniquement. J’ai vu, à la télé, l’humoriste pas toujours drôle Dieudonné tenter de s’immiscer. Mais il a été refoulé, il n’était pas invité. Il y avait donc des Noirs invités, et des Noirs évités. Plutôt que d’organiser une grande fête populaire pour célébrer l’abolition de l’esclavage, la République a préféré organiser un pince-fesse sur invitation. Cruel symbole. Nos élus auraient-ils peur du peuple ?

Aujourd’hui la situation a changé. L’esclavage est, officiellement, aboli, même s’il se pratique encore sous certaines formes : femmes ou filles mariées sans leur consentement, personnes contraintes de travailler sans rémunération, etc. Par contre on embauche à coup de millions d’euros des joueurs de foot venant de pays d’Afrique. Ceux là ont de la chance, ils sont accueillis à bras ouverts quand leurs frères de couleur, moins doués en foot, sont accueillis à coup de fusil sur les frontières européennes, ou expulsés, ou exploités quand ils ont réussi à rentrer...

A nous les médecins africains
D’autres catégories que les footballeurs sont accueillies à bras ouverts, comme le personnel médical. Plusieurs organisations de solidarité internationale s’émeuvent de cette situation qui entraîne un manque de personnels soignants dans certains pays d’Afrique. Des centres de santé doivent fermer par manque de personnel, comme au Malawi. “Les médecins malawites sont aujourd’hui plus nombreux à Manchester que dans tout le Malawi”, indique un document édité pour cette campagne intitulée “Personnel de santé au sud, pénurie mortel” (2).

Pour les pays riches, c’est tout bénéf : ils n’ont pas à prendre en charge la formation de ce personnel qualifié qui, une fois arrivé en Europe ou est Amérique du Nord, est sous payé et cible de discriminations. Les médecins des pays pauvres viennent soigner nos maladies de riches et nous ne leur savons même pas gré ! Médecins du monde, le Secours catholique, la Croix Rouge et Agir ici font partie des associations qui tentent d’alerter l’opinion française et international sur ce phénomène inquiétant.

Maladies : recherches oubliées...
Si le commerce triangulaire est fini, les conditions de vie d’une partie de la population humaine restent révoltantes. Car au manque de personnel médical s’ajoute l’absence de médicaments et de vaccins pour certaines maladies comme le paludisme, la dengue, la cécité des rivières, etc. Ces maladies sont laissées de côté par les laboratoires de recherche car les populations concernées sont “non solvables” (Libération du 5 avril). Encore une affaire de commerce et de gros sous. Heureusement, on a la Ligue 1 et le monde merveilleux du foot, pour nous occuper l’esprit (3).
Christian Le Meut

(1) Lire : Racines (“Roots”) de Alex Haley, écrivain noir américain qui a reconstitué l’histoire de sa famille jusqu’à la déportation de son ancêtre africain, Kounta Kinté, en 1767.
(2) Contact : Agir ici, 104 rue Oberkampf, 75011 Paris. Téléphone : 01 56 98 24 40 et site internet : agirici.org
(3) Idée de lecture : “Le football, une peste émotionnelle”, de Jean-Marie Brohm et marc Perelman, vient de paraître chez Folio actuel.

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