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15/11/2005

Mahmoud Mouhammad Taha : le "Gandhi soudanais"

Et si le message principal de l’islam était la non-violence, l’égalité entre les sexes, une forme de socialisme, l’abolition de la guerre sainte ? C’est ce que soutenait le philosophe soudanais Mahmoud Taha (1908-1985), fondateur des “Frères républicains”, pendu à Khartoum en 1985 par un régime militaire voulant donner des gages aux islamistes.

Le 18 janvier 1985, le penseur musulman Mahmoud Mouhammad Taha est pendu dans une prison de Khartoum pour délit d’opinion et sous la pression des musulmans intégristes. Ancienne colonie britannique, le Soudan, dirigé par le général Nemeyri a adopté en 1983 un code pénal issu de la “Charia”. Les thèses du penseur deviennent passibles de la peine de mort. Il est vrai qu’elles tranchent avec la pensée dominante de l’Islam à cette époque, et encore aujourd’hui.

Mahmoud Taha estime, en effet, qu’il faut distinguer deux époques dans la vie de Mahomet. La première, lorsqu’il vivait à La Mecque (610-622), qui fonde une religion basée sur la responsabilité de l’être humain, et la seconde, dite “période médinoise” (622-632). Chassé de La Mecque, il faillit y être massacré avec ses fidèles, Mahomet se réfugie à Médine. Il se mue alors en chef de guerre et adapte son message spirituel à ce nouveau contexte.

La “seconde mission” de l’islam
Un prêtre jésuite français, Henry Coudray, a étudié la pensée de Taha et s’est rendu en 1973 au Soudan, où il a rencontré Taha et sa communauté des “Frères républicains”. Il présente ainsi l’approche du penseur : pour Taha, “L’islam véritable et définitif, c’est celui de la “seconde mission”, celui qui a été prêché par Mahomet à La Mecque, mais qui a été temporairement supplanté par la prédication de Médine. En effet, lorsque Mahomet a commencé à proclamer son message, il a appelé à la religion parfaite, qui repose sur la responsabilité et la raison de ses membres et fait appel à leur liberté. Mais, à cause de l’impréparation de ses concitoyens et du niveau encore grossier de la civilisation au VIIe siècle, eu égard à un si sublime message, il a été obligé, de rabattre ses ambitions et, pour des raisons pédagogiques, de condescendre au sous-développement culturel et religieux de son époque.
Il prêcha donc alors une religion qui faisait appel à la croyance plus qu’à la connaissance. C’est au niveau de cette première mission que les musulmans ont vécu jusqu’à présent. Mais, désormais, à cause du progrès accompli par l’humanité, le moment est venu de passer à la deuxième mission. Il faut donc abandonner la première Loi (charia) instituée à Médine (...) pour établir la deuxième Loi, qui correspond à l’Islam parfait et qui s’inspire des “racines” de la religion. Ainsi, dans la nouvelle Loi, plus de guerre sainte, ni d’esclavage, ni de capitalisme, ni d’inégalité entre homme et femmes, ni de polygamie, ni de port du voile, ni de séparation des sexes”.
A la question posée par Henry Coudray de savoir s’il était un utopiste, il répondit : “Utopie, si vous voulez, mais utopie réaliste reposant sur une analyse scientifique de la réalité”.

Les “Frères républicains”
Et ces principes, Taha les a mis en application dans les communautés qu’il a créées. Une douzaine existaient à Khartoum en 1973 lors du séjour d’Henry Coudray. Ces “Frères et sœurs républicains” vivaient sous le signe des partage des biens, de la mise en commun d’une partie du salaire, dans des logements séparés mais proches pour pouvoir prier en commun, organiser des soirées de réflexions et préparer les actions militantes visant à faire connaître la pensée de Mahmoud Taha. Celui-ci ne s’est, semble-t-il, jamais engagé sur le terrain électoral.
Ni proche du Parti communiste, dominant à gauche, ni des droites nationalistes ou fondamentalistes, Taha et ses disciples ont pu s’exprimer librement sur les campus et dans les rues jusqu’au début des années 80. Il semble que les Frères républicains avaient une certaine influence sur le monde étudiant.

Lecteur de Darwin
Les lois de l’époque étaient encore sous influence des lois coloniales et le régime de Nemeiry, en place depuis 1969 suite à un coup d’Etat, n’a adopté la charia qu’en 1983 alors qu’il avait doté le Soudan d’une constitution démocratique basée sur les droits de l’Homme, en 1973.
Mahmoud Taha a goûté de la prison en 1938, durant deux ans, pour s’être opposé au régime colonial britanniques. Il en a profité pour lire Darwin, Marx, Auguste Comte... En 1968, il est condamné par des responsables religieux et, en 1972, l’Académie des recherches islamiques du Caire juge hérétique son principal livre, “La deuxième mission de l’Islam”(1).
Aussi, lors de l’adoption de la Charia comme code pénal en 1983, Taha la conteste, signalant les contradictions entre la Constitution en vigueur et le nouveau code pénal. Arrêté, il est libéré mais continue de contester. La charia est, pour lui, “une insulte au Soudan et à l’Islam”.
Arrêté de nouveau en janvier 1985, avec quatre disciples, il est condamné pour “menées contre le gouvernement”, sentence confirmée en appel. Ses disciples se repentent et ont la vie sauve mais Taha refuse, lui de se rétracter.
Malgré des appel du monde entier, il est pendu le 18 janvier, ses écrits sont condamnés à être brûlés. En avril, un soulèvement populaire renverse Nemeiry...

Une “nouvelle charia” ?
Mahmoud Taha cherchait une nouvelle charia qui, selon Henry Coudray, “correspondrait, en gros, à la Déclaration universelle des droits de l’Homme, en allant encore plus loin sur les questions de non-violence, de respect de la femme, de l’étranger, etc. Il se prononçait contre le port du voile car l’islam, disait-il est pour la liberté".
Mahmoud Mouhammad Taha a été surnommé le “Gandhi soudanais” au moment de sa mort. Comme Gandhi, il a été assassiné, mais, contrairement au Mahatma, sa pensée est tombée dans l’oubli. Elle mériterait d’être mieux connue et reconnue à l’heure actuelle mais aucun de ses livres n’a été traduit en français.
Christian Le Meut

* Texte uniquement en version française.

(1) Mais ce livre a été traduit en anglais. Les sources divergent quant à la date de naissance de Taha : 1908 ou 1916.

Commentaires

Merci christian de nous faire découvrir cette "nouvelle charia"
merci en général pour tes commentaires salutaires sur le monde et notre petite Bretagne qui est dedans.

Écrit par : Yann | 16/11/2005

Merci... pour ces remerciements. Je crois que le parcours de Mahmoud Taha mérite d'être connu. Pour le reste, j'essaie de participer au début citoyen dans notre monde, et dans notre petite Bretagne qui est dedans.
Joa deoc'h
Christian

Écrit par : christian | 17/11/2005

:-)
je me suis permis de faire lien vers chez toi

Écrit par : yann | 28/11/2005

Merci beaucoup ! Il va falloir que j'essaie de comprendre, un jour, comment établir des liens, chose que je n'ai pas encore intégrée pour l'instant !
Kenavo
Christian

Écrit par : christian | 29/11/2005

Tous mes respects à la famille de monsieur Taha, mais cette distinction de deux périodes = deux discours, est vieille comme le monde et tout étudiant sérieux de la Lecture Noble (a°l qour'an a°l karim) sait bien que celà ne tient pas la route. C'est aussi le discours de pseudo-soumis qui ne pouvant répondre aux critiques portées à l'encontre du Prophète Mouhammad et de sa pseudo guerre sainte*, essayent de sauver les meubles en déclarant une partie seulement comme présentable. C'est une attitude de vaincu. Et malheur aux vaincus. chayr a°bou riyaD
* "la guerre sainte", si elle existait se dirait en arabe : "a°l harb a°l mouqadas". Ne cherchez pas cette expression dans la Lecture Noble (a°l qour'an a°l karim), vous ne l'y trouverez pas pour la bonne raison qu'elle fut d'abord le fruit des élucubrations de la papauté des premières croisades et qu'elle a été reprise par la suite par les extrémistes religieux arabes. Comme quoi les extrémités se rejoignent toujours.

Écrit par : chayR abou riyaD | 19/03/2006

C'est bien mon avis aussi, qu'il s'agit là d'une pensée démagogique, cédant aux sirènes d'un mysticisme progressiste archi-caduc. A propos du mythe du "progrès", Baudelaire écrivait

"Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme de l'enfer. - Je veux parler de l'idée du progrès. Ce fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la Nature ou de la Divinité, cette lanterne moderne jette des ténèbres sur tous les objets de la connaissance." (Critique d'art, Folio p.240).

En réalité, l'évolution de l'humanité n'est pas linéaire, mais cyclique.

Il est insultant pour les musulmans, de prétendre qu'ils ont vécu jusqu'à présent dans l'obscurantisme, le sous-développement moral, culturel et religieux, et l'ignorance du vrai message de l'islam. Insultant et, de plus, parfaitement stupide. Il suffit de voir les prodigieuses réalisations de la civilisation musulmane, il suffit de lire les grands auteurs musulmans, comme Ghazâli, Razi, Suyuti, Avicenne (ibn Sina), etc. Pour se rendre compte qu'il n'en est rien, qu'à toutes les époques il y a des hommes et des femmes qui ont compris et médité le message de l'islam, et ont su en déduire une règle de vie harmonieuse, lumineuse et sainte. Et ils n'ont pas toujours été marginalisés et persécutés, comme le clament à tout vent ceux qui n'ont aucune connaissance de l'histoire de cette civilisation (ou qui la falsifient délibérément).

L'idée d'une "deuxième Charia" est non seulement choquante pour ce qu'elle implique de désaveu à l'encontre de la civilisation musulmane, dont nous n'avons pas à rougir. Elle est aussi et surtout inutile, car si M. Taha avait étudié la "première Charia" comme il faut, c'est-à-dire par les textes, et non d'après les applications plus ou moins heureuses qu'en font certains gouvernements modernes ou anciens qui n'y voient qu'un moyen d'appuyer leur puissance, il y aurait trouvé la sagesse, l'humanité, la miséricorde, la douceur, le respect de la vie dans la volonté de parfaire la vertu de l'homme, de l'amener aux plus hautes cimes de l'Esprit, qu'on trouve dans d'autres lois religieuses, mais que M. Taha ou d'autres auraient vainement cherché à réaliser par leurs constructions théoriques abstraites.

Le problème de cette première (et seule Charia), c'est qu'elle n'est appliquée nulle part. A la place on trouve partout un simulacre indéfendable et que je n'essaierai pas de défendre. Mais la solution pour les musulmans, s'ils veulent le rester, est de revenir effectivement au message du Prophète, tel qu'il a été effectivement compris par les grands penseurs, théologiens, mystiques... de l'islam, et codifié dans la Charia éternelle, non d'en inventer une autre sur base des fantasmagories d'un universitaire ignorant et déculturé.

En conclusion, M. Le Meut me paraît mieux inspiré quand il fait la critique d'une série télévisée imbécile véhiculant les clichés les plus éculés sur la Bretagne, que lorsqu'il fait l'éloge d'une personnalité plus que douteuse, dont les idées sont également empreintes de stéréotypes fallacieux sur la civilisation de l'islam, qui valent bien, à mes yeux, l'image du Breton chantant "tri martelod yaouank" en dansant dans les bars.

Si vous voulez savoir ce qu'est réellement l'islam, (sa loi, sa civilisation,... ) lisez ceux qui l'ont réellement "fait" ou étudié. Lisez Ghazâli, Avicenne, Averroès, ibn Khaldoun, Rumi, Attar, Saadi, ... ou bien lisez R. Guénon, M. Lings, T. Burckhardt, M. Vâlsan (passionnant, mais difficile à trouver), H. Corbin (surtout pour la partie chiite), ou le livre de M. Seyyed Hussein Nasr, "l'islam traditionnel face au monde moderne". L'image du Gandhi de Khartoum, ou d'autres "penseurs" fantaisistes de son espèce (car ils sont légion), risque d'en prendre un fameux coup.

Salutations à tous les habitants de la Bretagne, qui ont de la chance de vivre dans un pays superbe, dont j'apprendrai peut-être la langue et la culture un de ces jours, si je vis assez longtemps...

Écrit par : Zheng He | 20/03/2006

Merci de votre commentaire sur la réalité de la religion des Soumis au Dieu Unique. C'est l'une des raisons qui m'a poussé à traduire l'intégralité de la Lecture Noble (a°l qour'an a°l karim) en français, de la translittérer à l'intention de ceux qui ne pratiquent pas l'arabe.
Entre autres découvertes : la réalité du "voile islamique".
la Lecture Noble n'utilise pas moins de 7 termes arabes qui sont habituellement traduits par "voile" dans les versions françaises connues. Deux seulement concernent la femme : a°l Rita°r et a°l jala°bab. Et dans les deux cas ces mots ne concernent que les pans de la tunique de la femme croyante, et non la couverture de sa tête - Ex. § S.33 - v.59
ya°-a°yyou-Ha°-n nabiyyou qoul li-a°zwaja-ka wa bana°tika wa nisa°i-l moûminîna
Ô Prophète ! Dis à tes femmes et à tes filles et aux femmes croyantes
youdnîna 'alay-Hinna min jala°bîbi-Hinna
qu'elles rapprochent vers elles [les pans de] leur tunique
zalika a°dnî a°n you'rafna fa° la° yoûzayni...
Voici le moyen qu'elles soient honorées et ne soient pas offensées...
Molière disait : Cachez ce sein que je ne saurais voir !
Et pour ce qui est du fameux "hijab" (a°l hija°b) dont on nous corne les oreilles, il s'agit en fait d'une tenture ou d'un rideau. (Cf. § S.17 - v.45). De là à se le mettre sur la tête !
Porter le voile par tradition ou convenance personelle est tout à fait respectable. Dire que c'est conforme au texte de la Lecture (a°l qour'an) du Prophète Mouhammad est un "pur" mensonge !
C'est toujours la même histoire : chercher à qui "le crime" de la falsification profite. chayR abou riyaD.

Écrit par : chayR abou riyaD | 21/03/2006

Bonjour,
La personnalité et la pensée de Mahmoud Taha méritent intérêt et respect, même si sa lecture du Coran peut être, bien évidemment, discutée. Rien ne justifiait, de toutes façons, sa pendaison... "Malheurs aux vaincus" ? Non... Je ne souhaite de malheur à personne, en ce qui me concerne. J'ai également bien conscience que l'histoire n'est pas linéaire. Cependant certaines valeurs, comme les droits de l'Homme, la démocratie, la liberté de penser, de s'exprimer, le respect de la personne, permettent de vivre dans une société moins violente. Ce qui est un progrès.

Écrit par : christian | 21/03/2006

"Malheur aux vaincus, c'est du 2° degré."
Pour le reste, je suis d'accord avec vous.
chayR abou riyaD.

Écrit par : chayR | 28/03/2006

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