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21/06/2005

France Troisième dimension

Il y a peu une équipe de France 3 est venue filmer la troupe de théâtre dont je fais partie. Nous avons monté un western en breton. Le but du reportage était de dresser l’état du breton vannetais (le dialecte breton parlé dans l’ouest du Morbihan) et donc de filmer une activité dans cette langue. Six personnes ont investi notre salle de répétition vite transformée en studio. Nous n’avons joué que le tout début de la pièce, filmé sous toutes les coutures. N’étant pas dans cette scène, j’ai pu observer le travail minutieux du réalisateur et de son équipe pour assurer la meilleure image et le meilleur son possibles.
Mais c’est ensuite que les choses se sont un peu gâtées. Le réalisateur voulait interviewer deux acteurs, ce qui fut fait. Mais lui ne parlait pas le breton, ni ne le comprenait. Et voici mes deux collègues obligés de répondre en breton à des questions posées en français, tout en n’étant pas compris de leur intervieweur car les réponses n’étaient pas traduites en français. Une personne parlant breton faisait partie de l’équipe de France 3, une sur six, mais pas pour traduire ni interviewer. Juste pour contrôler que le contenu des réponses correspondait à celui des questions... Voici donc un nouveau métier pour les brittophones : contrôleur de réponses en breton !

Interviewer quelqu'un sans comprendre ses réponses...
Mais comment interviewer quelqu’un sans comprendre ses réponses ? On ne peut pas aller bien loin dans le sujet abordé, on ne peut pas approfondir les choses. Par contre on peut poser des questions auxquelles il a déjà été répondu, ce qui a été le cas. On peut mal se comprendre entre interviewer et interviewés, ce qui fut le cas...
Et moi, dans mon coin, sous mon chapeau de cow-boy, j’étais un peu navré et révolté de la scène à laquelle j’assistais. Comment peut-on interviewer des gens sans comprendre les réponses ni les faire traduire ? Une personne de France 3 aurait pu mener l’interview puisqu’elle parlait breton, mais non, elle était là uniquement pour contrôler les réponses... Je me suis demandé si je ne rêvais pas, mais un mauvais rêve. Non, j’étais bien dans la réalité, mais dans une troisième dimension. Une France troisième dimension. Le contenu des réponses ? On se le fera traduire plus tard... Apprendre le breton ? On verra plus tard... La plupart des journalistes de France 3 qui travaillent pour les émissions en langue bretonne, parlent breton, c’est quand même plus pratique pour interviewer des bretonnants ! Mais pas tous...

J’ai eu cette impression bizarre d’être comme dans un zoo où l’on vient filmer des bretonnants sans se donner les moyens de les comprendre...


Qu’un réalisateur viennent faire un reportage sur la langue bretonne sans la parler, cela arrive... Il peut venir de Rennes, Paris, Londres, Pékin ou Montréal, ne pas parler breton et travailler avec des bretonnants. Mais ne pas comprendre les réponses et ne pas se les faire traduire... C’est possible ça ? C’est respectueux des personnes que l’on interviewe ? C’est se donner les moyens d’aller au fond des choses ? Ce soir-là, l’intervieweur avait devant lui deux instituteurs bilingues et qui ont transmis, ou transmettent, le breton à leurs propres enfants. Des parents qui parlent donc breton à la maison. Il y avait matière à discussion pour un reportage sur l’état et l’avenir du breton vannetais, mais cette matière là a échappé à l’intervieweur...
“France 3 Bretagne travaille souvent comme cela” m’a-t-on dit.
Pas trop souvent, j’espère...


Des formations à la langue bretonne, mais pour quel débouché ?
Depuis 35 ans Diwan et les écoles bilingues ont enseigné le breton à des milliers d’enfants. Certains sont désormais sur le marché du travail. Trouvent-ils du travail en breton ? Du côté de l’enseignement, certes, mais en dehors, il n’y a pas grand chose... Des filières se développent également pour former des adultes à la langue bretonne, langue présentée comme un atout pour trouver du travail. Ces filières sont financées par le Conseil régional, par exemple, et par l’Assedic en ce qui concerne les chômeurs... Personnellement j’ai passé six mois de ma vie à apprendre le breton avec l’organisme Stumdi, à Ploemeur, en 2001-2002. Ce fut un bon moment, studieux mais surtout enrichissant et très plaisant. J’ai appris le breton par motivation personnelle, pas forcément pour trouver du travail mais, au sortir de la formation, j’ai quand même cherché du travail en breton. Je n’en ai pas trouvé. J’en ai trouvé en français, et je constate tous les jours que c’est un atout de parler et d’écrire le breton quand on est journaliste en Basse-Bretagne...

Mais quand je vois que certains des reportages en breton produits par France 3, consacrés à l’état et à l’avenir de la langue bretonne, sont réalisés par des gens qui ne parlent quasiment pas un mot de breton, je comprends mieux pourquoi je n’ai pas trouvé de travail dans cette langue au sortir de ma formation.
Et je me demande si l’on ne se moquerait pas un peu des bretonnants.
Christian Le Meut

Une partie de ce texte a été reprise en courrier des lecteurs dans Le peuple breton de septembre 2005. 

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