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10/10/2005

Cauchemar de Darwin : conférences à Douarnenez et Paris

Un documentaire remarquable, "Le cauchemar de Darwin", passe encore en salle. Ce reportage montre la vie quotidienne des habitants de la ville de Mwansa, sur les rives du lac Victoria. L'introduction de la perche du Nil par des pêcheurs britanniques amateurs, friands de ce poisson, a complètement bouleversé l'équilibre écologique du lac et la vie économique de la région. La perche est devenue un produit d'exportation massif mais les autres espèces, qui nourrissaient la population, ont presque disparu. Le témoignage ci-dessous complète celui du film. Il est paru dans le bulletin Pêche et développement, fin 2003. Catherine Lozac’h et Didier Le Pallec, deux journalistes bretons, ont traversé l’Afrique d’Alexandrie au Cap pendant l'été 2003, en train et en bus. Leur traversée passait par l’Ouganda où ils ont rencontré des pêcheurs artisans et l’Association de femmes de pêcheurs.

“Dès le lendemain de notre arrivée nous avons appelé et avons été très bien accueillis” soulignent Didier et Catherine. L’association, très structurée, a été créée il y a une dizaine d’années et a des bureaux à Kampala.
Ils se sont rendus en minibus au port de Katosi, sur le lac Victoria à deux heures de route et de piste de Kampala, où est implantée l’association. Ils y ont passé quatre jours.
Katosi compte “quelques milliers d’habitants” répartis sur un vaste territoire mais avec un port-village. Tous les pêcheurs ne sont pas là en permanence, certains vivent sur des îles parce que les poissons sont assez loin du rivages “depuis que la perche du Nil a éradiqué les espèces locales” note Catherine Lozac’h. De petites îles servent ainsi que camps de base. “Il y a deux types de bateaux dans le village, explique-t-elle. “D’une part les pirogues qui servent à la pêche et d’autre part, les pirogues couvertes qui viennent chercher la pêche”.

Six kilomètres de filets
“Les pirogues, nous en avons vues une vingtaine à Katosi, sont toutes motorisées, ce qui est d’ailleurs un problème parce qu’il faut pêcher suffisamment pour que cela soit rentable : payer l’essence, réparer le moteur. Mais un petit atelier mécanique s’est créé avec quelques hommes qui travaillent. Ce ne sont pas des pirogues creusées dans des troncs d’arbres, mais en planche. Elles doivent bien faire dix mètres de long. Nous avons embarqué une nuit avec deux jeunes pêcheurs, l’un de vingt ans environ, Freddy, l’autre de 15-16 ans, Richard. Généralement, ils pêchent à deux. Ils embarquent six kilomètres de filets. 60 filets de cent mètres qui sont reliés les uns aux autres. Cela fait une bande de filets droit à mailles assez larges qu’ils mouillent dans le lac à la tombée de la nuit et qu’ils commencent à relever en milieu de nuit pour avoir fini au petit matin. Ils pêchent la perche du Nil, il n’y quasiment plus que cela, et le tilapia. Mais nous ne sommes pas parvenus à identifier ce poisson parce que, quand nous sommes allés en bord de mer dans d’autres pays, un poisson s’appelle également le tilapia. Cela ressemble à un nom un peu générique.
Nous avons quitté la plage à 16h30.

Nous avons fait près de deux heures de navigation puis Freddy, le patron, a mouillé les six kilomètres de filet. Richard, le plus jeune, était au moteur, et Freddy mouillait le filet, puis ils ont inversé les rôles. Une fois le filet mouillé, nous sommes retournés sur la bouée de départ du filet. Il était près de 19h, il allait faire nuit, nous avons mangé. Ils ont récupéré des planches qui étaient dans fond du bateau, les ont mis en travers pour faire des lits, avec une natte en bambou par dessus. Nous avions un peu peur du froid et des moustiques mais, finalement, cela a été. Vers une heure du matin, tout le monde debout : ils ont remonté chacun trois km de filet. Ils ont fini au lever du jour, puis on est retourné sur la plage. Cétait grandiose. On n’a pas l’impression d’être en mer, car il y a des îles un peu partout, mais on a vraiment l’impression d’être sur bateau fragile, sans lumières... D’autres pirogues étaient dans les parages. En une nuit les deux pêcheurs ont pris huit perches... Ce qui couvrent à peine les frais.
Les pêcheurs sont payés au pourcentage sur la vente. Mais la pêche n’est pas toujours aussi mauvaise, il y a aussi des histoires de saison, nous sommes tombés dans la plus mauvaise”.
Didier Le Pallec note, quant à lui, l’ingéniosité des pêcheurs: “Tout est récupéré : le lest est fait à partir de petits sachets plastic de lait, qui est vendu sous cette forme en Ouganda et dans beaucoup de pays africains. Le sachet est récupéré ensuite, rempli de sable, bien fermé, attaché, et cela fait du lest. Pour les flotteurs, c’est le même type de sachet, mais avec du liège dedans. Tout les bidons sont réutilisés pour servir de bouées de marquage des filets”.

Une pêche industrielle sur le lac
Les deux journalistes continuent leur description de la pêche artisanale à Katosi : “L’autre type de bateau présent à Katosi, ce sont des pirogues couvertes, des bateaux frigos avec de la glace à bord (mais sans système de réfrigération) qui viennent chercher les poissons sur les îles ou au large, et reviennent pour vendre la pêche à Katosi d’où des camions réfrigérés la transporte à Jinja. Dans cette ville, il y a des usines de transformation.
Le poisson est déposé sur la plage (il n’y a pas de jeté) puis mis sur une plate forme en béton où il est déposé, pesé. C’est une sorte de criée couverte, mais sans mur, où les acheteurs viennent se fournir, puis le poisson est chargé dans les camions. Il y a aussi un petit marché local quant les pêcheurs arrivent encore à pêcher du tilapia, ils le vendent par lot à la criée.
Il y a d’autres flottes de pêche, mais qui ne partent pas de Katosi, il s’agit de pêche industrielle, l’équivalent de chalutiers de chez nous, en Bretagne, qui partent surtout de Jinja. Nous avons vu leurs lumières, la nuit, quand nous sommes sortis avec les pêcheurs. Comme ils pêchent beaucoup au large, ils contribuent à la raréfaction de la ressource”.

La perche ou la vie ?
L’introduction de la perche du Nil dans le lac Victoria, il y a une vingtaine d’années, a eu des conséquences graves sur la vie des habitants. “L’association, explique Catherine Lozac’h, s’est créée parce que la situation devenait intenable pour les pêcheurs, les familles crevaient de faim. Il fallait trouver des solutions alternatives pour rester au village, car la solution n’est pas de venir s’entasser dans les faubourgs de Kampala.
“Les femmes sont devenues armateurs. La pêche fournit un revenu aléatoire mais qui a le mérite d’exister et d’être assez facilement accessible. Le bateau sur lequel nous sommes montés appartient à l’association, qui a quatre pirogues en tout. Huit marins travaillent avec elle.
Le but, malgré tout, est de se désengager de la pêche par le biais des revenus qu’elle apporte, car la pêche est trop aléatoire. Donc, avec l’argent qui vient de la pêche, l’association finance des micros projets pour les femmes, une trentaine actuellement, afin qu’elles montent d’autres activités à revenu plus stables. Beaucoup sont seules avec les enfants. Les maris sont, souvent, décédés du sida, d’autres sont partis. Elles ont recueilli des enfants dont les parents sont morts du sida... La volonté de l’association serait d’aller jusqu’à aider une cinquantaine de femmes, mais il faut pouvoir financer”.

“Aucune perche n’est mangée à Katosi”
L’association fait également des formations pour sensibiliser les gens à créer leurs propres activités : l’une de ces femmes, par exemple, était devenue couturière mais a laissé cette activité à sa sœur pour monter un petit commerce d’accastillage. D’autres activités tournent aussi vers l’agriculture : production de vanille, plantations de bananiers, achat d’une vache pour avoir du lait et le vendre. Le lait permet aussi d’améliorer la nourriture fournie aux enfants parce qu’une des conséquences de l’apparition de la perche du Nil, c’est que ce poisson est très demandé à l’exportation (vers le Kenya, l’Europe, le Japon...). Aucune perche n’est mangée à Katosi.
Quand la pêche a été bonne, les femmes ont de l’argent pour acheter de la nourriture mais, si la marée a été mauvaise, pas d’argent... Et il n’y a pas de variété locale de poisson à acheter à un prix raisonnable. Dans le village, la qualité nutritionnel de ce qui est consommé a baissé depuis l’apparition de la perche du Nil. Ils ne mangent que rarement du poisson ! Le lait permet d’apporter un peu de protéine dans l’alimentation de base. L’apparition de la perche a également engendré également la disparition d’une activité traditionnelle des femmes : sécher et fumer le poisson. Comme il part directement à l’export, il n’est plus traité dans le village... Mais nous avons vu des familles qui fumaient encore le poisson dans des fours en terre. Ce poisson fumé est vendu dans le village ou consommé par les familles. Il a l’avantage de pouvoir se conserver en cas de disette...

Chance ou malchance ?
“J’ai l’impression, dit Catherine, que la pêche en Ouganda se divise en deux parties : les petits pêcheurs comme ceux que nous avons vus, qui ne sont pas très organisés et très à la merci des mareyeurs et, de l’autre, une pêche industrielle, très organisée, avec des capitaux qui ne sont généralement pas ougandais”.
L’apparition de la perche est-elle une chance pour l’Ouganda ou non. Outre ses conséquences écologiques (la quasi disparition des autres espèces), l’invasion du lac pour ce poisson carnivore a eu des conséquences sociales et alimentaires évidentes pour les populations locale. Mais, note Catherine et Denis, “elle a également permis la création d’une filière de pêche à l’exportation qui permet de donner du travail à des milliers d’Ougandais”.

L’Ouganda est un Etat également relativement stable dans cette partie de l’Afrique. Didier et Catherine y ont également rencontré des réfugiés d’autres pays. Mais, notent les deux voyageurs, “Kampala est stable : au Nord il y a les bases arrières de la guérilla soudanaise, à l’Ouest la guerre au Congo rend certaines zones dangereuses, et à l’est, vers le Kenya, il y a des conflits tribaux “. Ils ont également trouvé là un pays vert, comme leur Bretagne, “C’est le seul pays vraiment vert que nous ayons traversé en Afrique; c’est magnifique, la végétation y luxuriante, équatoriale”. Mais surtout, ils gardent en souvenir le dynamisme de la population : “C’est un pays pêchu où les gens ne sont pas résignés”.

Christian Le Meut

Pêche et développement : http://wwwpeche-dev.org

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