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28/04/2007

L'énigme du gendarme qui lisait Le Monde

Quand j’étais enfant, j’habitais dans une gendarmerie. Oui, une gendarmerie car je suis fils de gendarme. Et l’on est prié de ne pas rigoler et de ne pas médire, mar plij geneoc’h, car j’ai pu voir à quel point les gendarmes sont des gens de qualité... Voir d’un niveau d’éducation supérieure. Figurez-vous que j’ai connu un gendarme qui lisait Le Monde ! Si si. Et pas Le Monde d’aujourd’hui avec les dessins de Plantu, de Pancho, les photos, et tout et tout. Non, Le Monde d’il y a trente ans, sans dessins, ni photo, austère de bout en bout.  Un gendarme qui lit Le Monde, ça vous en bouche un coin, hein ?

Un jour,  un jeune gendarme arriva à la gendarmerie. Celui-là était bien vu d’avance par la hiérarchie car il était jeune et diplômé. Je ne sais plus très bien quel diplôme il avait mais la rumeur courut rapidement dans la brigade : le nouveau gendarme lit Le Monde; ça alors ! Il recevait chaque jour Le Monde à la brigade, à la vue et au su de tous, puisque les familles de gendarmes habitent ensemble. Les autres gendarmes et leurs épouses lisaient soit Ouest-France, Le Télégramme ou La Liberté du Morbihan, quotidien local du soir qui existait encore à l’époque.  Ou rien du tout... Mais Le Monde... Moi, à l’époque, du haut de mes 10-12 ans, j’en étais au Journal de Mickey.

Rapidement cependant  le doute s’instaura dans l’esprit de certains gendarmes, et surtout dans celui de certaines épouses à l’esprit  - et la langue  - particulièrement affûtés, qui avaient du mal à croire que le nouveau venu fût lecteur du Monde malgré les affirmations de madame qui s’était empressée de dire à la cantonnade : “Mon mari lit Le Monde” ...

Ou alors c’était madame qui lisait Le Monde, mais cela paraissait tout aussi incroyable.

Le goût de la fête
Les gendarmes vivent donc en brigades où les familles cohabitent, plus ou moins bien. L’ambiance peut être excellente comme elle peut être détestable. J’ai, en ce qui me concerne, plutôt de bons souvenirs car nous étions une bande de gamins, toujours à jouer ensemble dans le grand jardin, dans la grande cour, dans les bâtiments et les prisons désaffectés, plein d’endroits où dépenser notre énergie. Nos parents s’entendaient plutôt bien et une ambiance sympathique régnait dans nôtre brigade.

Mais vous savez bien comment sont les enfants. Toujours à fouiner, à ouvrir les placards défendus, à aller voir là où l’on ne les attend pas. Nous avions à la brigade une grande cave, sous le bâtiment principal. Chaque famille y avait sa cave et il y avait aussi une grande salle qui servait de salle des fêtes, en quelque sorte. A Noël, les enfants y recevaient des cadeaux; au Nouvel-an, parents et enfants y mangeaient ensemble pour des repas qui pouvaient durer fort tard. Au cours de l’année on trouvait d’autres occasions de se retrouver; on aimait bien faire la fête.

A tel point qu’un soir nos plus proches voisins appelèrent pour se plaindre du bruit que nous faisions. On leur répondit que, s’ils n’étaient pas contents, ils pouvaient toujours appeler la police ! Quelle rigolade ! Mais les gendarmes de service restaient évidemment en état d’intervenir.

Un monde de trésors !
Cette grande cave, donc, abritait un grand coffre; et un jour il nous prit la curiosité à nous, enfants, d’ouvrir ce grand coffre pour voir quels trésors il renfermait. Et il en renfermait un monde, de trésors ! Le Monde entier ! Plein de numéros du Monde, bien pliés et emballés dans leurs bande de papier avec l’adresse de M. le gendarme qui recevait bien chaque jour Le Monde mais ne le lisait manifestement pas. Ni madame. C’est ainsi que, grâce aux enfants et à leur curiosité, l’énigme du gendarme qui ne lisait pas Le Monde mais voulait le faire croire, fut résolue.
Christian Le Meut