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19/08/2009

France inter : une langue "sans littérature" est-elle une langue ?

Dimanche soir, sur France Inter : l'émission Le Masque et la plume est consacré aux livres, dont celui de Mona Ozouf "Composition française, retour une enfance bretonne". La plupart des critiques présents disent l'avoir apprécié, notamment Arnaud Viviant, critique invité régulièrement dans cette émission. Il a compris, en lisant ce livre, que la langue bretonne n'aurait pas de littérature écrite. Je n'ai pas pu reécouter l'émission pour vous donner la citation exacte mais c'était la teneur du propos. J'ai lu le livre de Mona Ozouf, que j'ai trouvé très intéressant mais je n'ai pas le souvenir d'avoir lu cela sous sa plume. Je vérifierai. Mais Arnaud Viviant, du magazine Regards, est allé plus loin, replaçant le débat sur les langues régionales en général : peut-on qualifier de "langue", une langue qui n'aurait pas de littérature (sous-entendu "écrite"), s'est-il interrogé. Sous entendu : si le breton n'a pas de littérature écrite, peut-il être qualifié de "langue" ?

Dans l'histoire humaine, les langues ont quelques centaines de milliers d'années quand l'histoire de l'écriture en a quelques milliers (6.000 environ). Les langues sont en premier lieux des systèmes oraux que les êtres humains créent pour se parler... Actuellement, des milliers de langues sont parlées dans le monde (6.500 selon certains linguistes). Combien ont développé des systèmes d'écritures ? Quelques centaines ? Mais celà n'empêche pas ces langues sans écriture de développer une littérature orale extrêmement riche et complexe, qui peut remonter à la nuit des temps. C'est le cas de la langue bretonne (avec le "Barzaz Breizh" collecté et publié au XIXe siècle par Hersart-de la Villemarqué).

Langue et littérature sont deux concepts différents, même si étroitement liés. Je suis surpris d'apprendre que le breton n'aurait pas de littérature moi qui lit, en permanence, des romans, nouvelles, articles, livres et journaux de toutes sortes, en breton. Le breton s'écrit depuis pas mal de siècles  déjà, la première trace écrite daterait même du VIe après Jésus-Christ), et a développé une littérature écrite : premier dictionnaire publié en 1499, le Catholicon (français, latin, breton).

Mais les langues qui n'ont pas développé d'écriture ont tout autant de valeur que les autres.

Longtemps, les langues africaines ont été qualifiées de "dialectes" parce qu'elles n'avaient "pas d'écriture". Aujourd'hui, qui se permettrait de qualifier ces langues riches de littératures orales millénaires (et écrites  désormais), de "dialectes" ? Quel type de regard portait-on à l'époque sur les peuples qui parlaient ces langues et les avaient créées ?

M. Viviant se serait-il permis de poser ce type de question pour des langues d'autres pays et d'autres continents que les langues de France dites "régionales" ? Celles-ci sont désormais reconnues dans la Constitution de la République française depuis 2008 mais je constate que les vieux préjugés ont la peau dure et se masquent parfois derrière de surprenants arguments.

Christian Le Meut

Commentaires

Pour réécouter cette intervention navrante
http://radiofrance-podcast.net/podcast09/rss_14007.xml

Écrit par : Jilig | 19/08/2009

"Il a compris, en lisant ce livre, que la langue bretonne n'aurait pas de littérature écrite... J'ai lu le livre de Mona Ozouf, que j'ai trouvé très intéressant mais je n'ai pas le souvenir d'avoir lu cela sous sa plume."

Il est impossible que Mona Ozouf ait pu dire une telle chose. Mais les journalistes littéraires lise ce qu'ils veulent bien lire, ou ce que leur insconcient lit !
On sait de toute façon ce que le monde politico-journalistico-intellectuel parisien (et pas que parisien, mais c'est paris qui donne le ton, le ce-qu-il-faut-penser-des-choses) pense du breton et autre "langues" dans le même genre. Nihil novi sub sole.
Samedi dernier, sur france-culture, regis debray établissait l'identité entre république française et langue française. La france, c'est sa langue, le français.
Il avait pourtant invité (un court instant !) Christiane Taubira qui est venue dire qu'elle combattait le jacobinisme et le "monoculturalisme", ce qui n'empêchait pas le debray en question de s'affirmer assez clairement jacobin

On se retrouve toujours avec la même égalité : république-france = laicité + jacobinisme + langue française, en un tout indissociable et indivisible.

Je n'ai pas lu le livre de Mona Ozouf, mais certaines de ses interventions. Elle a eu parfois des propos très clairs, genre : "exclure une langue de l'école c'est la tuer", phrase que certains de nos universitaires et statisticiens (!) se garderait bien de prononcer !
Mais dans certaines de ses interviews, elle est beaucoup plus ambigue et pas à la hauteur de certaines de ses interventions.
Genre : l'exclusion du breton aurait pu être moins brutale ! Comme si le problème était la brutalité, alors que c'est l'exclusion !!

Écrit par : Alwenn | 22/08/2009

Intéressant! C'est marrant, je suis allé chez un ancien archéologue (90 ans) vendredi dernier qui a une bibliothèque en breton assez exceptionnelle. Je me suis dis au contraire que la culture bretonne littéraire était riche...

D'accord avec ton article evel just. Mais notre société occidentale se réfère aux écrits. C'est la raison pour laquelle on ne sait rien sur les gaulois ou plus généralement les celtes (les barbares = tout ce qui n'est pas l'empire romain), mais qu'on en connaît un rayon sur les grecs et romains.

Gael.

Écrit par : Gael | 23/08/2009

Je viens d'écouter l'emission en question, et je trouve que c'est vraiment chercher la petite bête que de polémiquer sur une malheureuse petite phrase, totalement idiote certes, mais bien insignifiante auprès de l'ensemble de ce qui se dit à propos de ce livre.
Je n'ai pas lu ce livre, mais ayant entendu M.Ozouf à plusieurs reprises à la radio, je suis heureux d'entendre quelqu'un qui, comme moi, refuse d'opposer ses différentes appartenances, en l'occurrence bretonne et française, contrairement à nos chefs de fil de l'"Emsav" (sic) (qui sont paradoxalement très souvent les plus francisés dans leur façon de parler breton...)

Écrit par : turio | 04/09/2009

Bonjour Turio
Libre à vous de considérer qu'il s'agit de chercher la petite bête, en ce qui me concerne je crois que des propos tenus sur une chaîne radio publique à des centaines de milliers de personnes, peuvent être analysés et discutés. Ils sont, à mes yeux, caractéristiques des préjugés profondément ancrés dans la mentalité française : une langue doit être écrite et avoir une littérature sur papier, alors que la réalité historique démontre qu'une langue est d'abord un outil de communication orale. Une langue n'a pas besoin d'écriture pour être une langue à part entière.
Kenavo
CLM

Écrit par : Christian | 04/09/2009

Je viens aussi d'écouter l'émission. Moins de 10 minutes sur un livre avec 5 intervenants, ça fait pas beaucoup de temps pour parler d'un livre. Et la critique de livre en dit parfois plus sur le critique que sur le livre.

Ca commence bizarrement. Jérome Garcin : «On va prouver qu'on aime la Bretagne».
et un peu plus loin, à Nelly Kapriélian : «T'as quelque chose contre la Bretagne, je le sens, hein.» (!!) Nelly : «Ben, non ... non, non ...»

On se demande pourquoi éprouver le besoin de «prouver» qu'ils aiment la Bretagne (... pour apprendre ensuite que c'est manifestement pas le cas de tous !)
Nelly n'aime pas la Bretagne, et elle n'aime pas non plus le livre ! Et manifestement c'est lié. Comme quoi la critique de livre peut être sacrément subjective.

Les propos exacts d'Arnaud Viviant sont : « ...avec la définition de ce qu'est une langue régionale. Mona Ozouf fait observer que il n'y a pas de littérature bretonne, c'est comme ça. Est-ce que une langue sans littérature peut-être considérée comme une langue, c'est une question.» (j'«adore» le «c'est comme ça !»)
Il s'inquiète aussi du fédéralisme («avec l'Europe, la question fédérale revient à plein nez !» !! ), de la disparition des départements !!, des «militants régionalistes» qui changent de bord, tantôt à droite, tantôt à gauche, au gré des circonstances, ...
Un journaliste parisien qui s'allarme du fédéralisme en Europe et de la disparition des départements français, je crois qu'on peut le qualifier de «jacobin».
Nelly en est une autre, qui fait le couplet habituel sur le communautarisme et les identités (celle des autres, pas la sienne).

Que dans une émission «littéraire» sur le service publique, un intervenant affirme : «il n'y a pas de littérature bretonne, c'est comme ça !» + «Est-ce que une langue sans littérature peut-être considérée comme une langue» et qu'aucun des autres (qui ont eux-même lu le livre) ne le contredise, c'est quand même assez passablement beaucoup problématique (avec le sous-entendu : c'est pas une langue, donc ça ne s'enseigne pas ou ça ne mérite pas de s'enseigner). (Si, c'est pas une langue, c'est quoi ?, un ... p...)

Ce qui est dommage aussi, c'est que quelqu'un qui ait lu le livre de Mona Ozouf puisse en arriver à cette affirmation.


«je suis heureux d'entendre quelqu'un qui, comme moi, refuse d'opposer ses différentes appartenances, en l'occurrence bretonne et française» Turio

Sauf que pour affirmer son «appartenance» française, Mona Ozouf a dû mettre sous le tapis son «appartenance» bretonne. Et que c'est la Révolution française qui a déclaré la guerre à l' «appartenance» bretonne, et que cette guerre est poursuivie par les jacobins d'aujourd'hui (dont font partie Arnaud V. et Nelly K.)

Une «appartenance» bretonne écrasée par l'«appartenance» française, réduite à rien, ce n'est pas difficile à concilier puisqu'il n'y a plus rien à concilier.

««La France n'a pas ratifié la Charte européenne des langues régionales et minoritaires: le breton et la Bretagne feraient-ils toujours peur à Paris?
Le feuilleton jamais clos de la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires illustre, en effet, la mauvaise grâce que la France montre à l'expression de la diversité culturelle. En proclamant que «la langue de la République est le français», en refusant les amendements qui auraient permis de manifester le respect dû aux langues minoritaires, en criant à la balkanisation du territoire français dès qu'une proposition de reconnaissance de ces langues, fût-elle modeste, voit le jour, la France révèle sa vieille allergie à la particularité, son goût constant pour l'uniformité.»»
Propos de Mona Ozouf recueillis par Yves Loisel - Le Télégramme

Avec le recul, Mona Ozouf est atterrée par la manière dont le breton a été relégué à l'espace privé, "donc condamné à mort". Elle demande "qu'on cesse d'assimiler toute langue minoritaire à un patois, et tout patois à une servitude".
Robert Solé - Le Monde

Voilà quelque chose qui n'a pas dû plaire à Nelly, et qui apparemment a échappé à Viviant (car en France, quand une «langue» n'est pas une «langue», c'est un «patois»).

A noté que le francophone Bongo II ne parle pas de langue «local», selon Le Monde. Mais c'ets sans doute chercher la petite bête que d'y prêter attention !

Écrit par : Alwenn | 05/09/2009

Trugarez deoc'h, Alwenn : merci à vous, vous démontrez qu'il ne s'agit pas de chercher la petite bête, de "pismiger", mais de question de fond.
Kenavo
CLM

Écrit par : Christian | 06/09/2009

Je persiste et je signe : même si le problème soulevé est un problème de fond (et je n'ai jamais nié l'importance de celui-là), il s'est dit d'autres choses au cours de cette émission, et il aurait été bien de le dire un peu plus.

Je constate que lorsqu'il s'agit de fustiger le jacobin bien identifié, pas de problème, on est intarissable. Par contre, aucune réaction par rapport à ma pique contre nos "pennoù-bras"...

Écrit par : turio | 15/09/2009

Bonjour Turio
Je continue de penser que ma note concernant Le masque et la plume se justifiait, le débat qui a suivi démontre l'importance des questions évoquées. Et je ne me contente pas sur Rezore d'aligner les "jacobins", j'essaie également de faire preuve d'esprit critique et citoyen à l'égard de ce qui se passe et se fait en Bretagne. Je ne conçois pas non plus mon identité bretonne comme exclusive d'autres identités. Concernant Rezore, c'est un blog personnel et je n'ai pas, hélas, toujours le temps de commenter ce qu'il me plairait de commenter mais, comme vous êtes manifestement (au moins) bilingue vous même, n'hésitez par à créer un blog, un site, pour y commenter l'actualité en breton, c'est une façon de maintenir cette langue vivante. Mais vous êtes, bien évidemment, bienvenu sur Rezore.
Kenavo

Écrit par : Christian | 15/09/2009

Une chronique à écouter qui résume bien la "conception-du-monde-jacobine" héritée de la révolution française

http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/matins/
7h25 : La chronique de Caroline Fourest : "Voile en Belgique"

"Rien ne prédisposait la Belgique à suivre le même chemin que la France. C'est un pays multilingue, fédéraliste, qui n'a pas la même conception de la laïcité ni même de l'école"

D'où on conclue que la france n'est pas un pays fédéraliste, ni ... multilingue !

Caroline Forest parle de la "tradition républicaine et laïque" de l'école.

"En France, contrairement à ce qui a été dit, la loi sur les signes religieux n'est pas une loi d'exception mais vraiment le fruit d'une conception égalitaire de l'école qui remonte à la révolution française lorsqu'il fallait fortifier l'unité jacobine au détriment des particularismes régionaux, breton, basque ou autres. En Belgique, on a toujours un roi et les écoles respectent les particularismes régionaux, ne serait-ce que parce que le pays est divisé entre Wallons et Flamands."

Caroline Forest, comme on le fait implicitement ou explicitement en france, amalgame "laïcité" et "nationalisme jacobin" (qu'on traduit dans le langage du jacobinisme par "tradition républicaine" car on ne saurait s'avouer "nationaliste". Les "nationalistes" , c'est les autres).

"En Belgique, on a toujours un roi et les écoles respectent les particularismes régionaux" !!!!!!!!!!!

Cette chronique montre on ne peut mieux que l' "identité jacobine française" (imposée par les élites politiques et intellectuelles) se construit sur la destruction des autres "identités", ramenés à des "particularismes", l' identité "jacobine" relevant elle de l' "universel" (ce qui lui donne tous les droits + la bonne conscience)

Écrit par : Alwenn | 25/09/2009

On aurait du mal à faire la distinction entre l' "idéologie jacobine" et l' "idéologie coloniale à la française".

Il n'est jamais venu à l'idée de Caroline Forest, comme des jacobins en général, de se demander ce que pouvait penser les Bretons et les Basques (mais les Bretons et les Basques pensent-ils ?).

Écrit par : Alwenn | 25/09/2009

Bonjour,
je viens de lire votre article relatif à la langue bretonne et à sa littérature.
J'ai appris le breton, puis je l'ai désappris, par manque de pratique. J'aime cette langue et sa structure, mais je n'ai pas trouvé en breton les sujets qui m'intéressent.
C'est-à-dire que, très pragmatiquement, je me précipite sur ce qui s'écrit en français ou en anglais, afin de saisir quelques clés pour déchiffrer le monde qui m'entoure. Je regrette ainsi de ne pas mieux maitriser l'allemand et d'être encore un illettré dans toutes les langues orientales.
Et les savants, lettrés, professeurs, qui ont précédé nos lectures de leurs écrits, quelle langue a été le support de leurs émotions, y compris quand il s'est agit d'analyser la dernière langue celtique continentale ? Je crains que ce soit le français ou l'allemand, en puisant dans les témoignages laissés en grec ou en latin. Ainsi, depuis le dix-neuvième siècle, celui des possibles nationaux, le breton n'est pas parvenu à devenir le support d'une pensée qui vaudrait face à l'universel. A titre personnel, aucun goût des lettres ne m'a été transmis lors des cours du soir, mais une expression approximative ("imagée", dit-on), qui aurait ainsi la saveur du populaire. L'élite a beaucoup parlé du breton, mais peu en breton.
Aujourd'hui, avec cependant la rage de laisser quelques bijoux dans le placard, je constate qu'il est trop tard.

Écrit par : Nicolas | 30/04/2013

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