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28/03/2007

Et Jaurès parlait occitan ? Non "patois"...

Entendu samedi matin (25 février 2006) sur France Culture, pendant l'émission d'Alain Finkielkraut, Réplique : deux spécialistes de Jaurès, Jean-Pierre Rioux, rédacteur en chef de la revue d’histoire Vingtième Siècle, et Gilles Candar, spécialiste de l'histoire des gauches françaises, y étaient invités. L'un d'entre eux explique que Jaurès, dans sa région d'origine (Carmaux, le Tarn, Toulouse...) commençait presque systématiquement ses discours en occitan et les finissait en français. Et Alain Finkielkraut de s'étonner : "Il commençait ses discours en occitan ?"

Comment ça, un homme politique, écrivain et philosophe français de l'étoffe de Jaurès connaissait l'occitan et le parlait publiquement, en plus... Sans doute pour être compris, au début du vingtième siècle, par une partie de son auditoire qui devait parler uniquement l'occitan mais ça, M. Finkielkraut en a t-il conscience ? Mais rassurons-nous, un des historiens a cru bon de préciser que Jaurès devait ne pas dire "occitan" mais "patois". Ouf, Jaurès parlait "patois". Enfin, ça a eu l'air de rassurer M. Finkielkraut. La France aurait-elle des racines multiculturelles et multilinguistiques cachées ? Que non, il y a le français d'un côté, et les "patois" de l'autre. Ce terme de "patois", hautement scientifique, revient d'ailleurs souvent sur les ondes de France culture... Où l'on a du mal, semble-t-il, a voir qu'il y a d'autres cutures et d'autres langues que la seule française à l'intérieur de l'Hexagone. Non, ce ne sont pas des cultures ni des langues : des "parlers", "dialectes", "patois"...

Mais bon, l'émission a eu, entre autres mérites, celui de nous rappeler que Jaurès parlait occitan et semblait l'assumer très bien. Il était également partisan de l'enseignement des langues régionales à l'école, si j'ai bien entendu l'un des historiens. De plus en plus intéressant, ce Jaurès.

Christian Le Meut

Commentaires

fier d'être brestois et d'arpenter la rue jean jaurès , jenjau pour les intimes, un socialiste comme on les aime

Écrit par : if | 25/02/2006

Je tombe par hasard sur votre remarque. L'historien qui a utilisé le mot "patois" n'avait pas d'intentions péjoratives, je peux le dire puisqu'il s'agit de mon collègue... plus "occitan" que moi ! (je crois que ses origines sont corréziennes !). Notre hésitation tient à ce que Jaurès ne disait en fait en ce qui le concerne ni patois (ou alors il mettait des guillemets ou précisait qu'il employait le mot pour se faire comprendre) ni "occitan" bien sûr, mais plutôt langues du Midi, ou méridionales... avec un pluriel, car pour lui il y a notamment le languedocien et le provençal.... Pour le reste, le débat est ouvert, mais d'accord pour ne pas avoir une vision simpliste et réductrice de la France et de sa ou ses culture(s)...

Écrit par : Gilles Candar | 27/02/2006

Merci pour cette précision. Si je comprends bien, vous avez dû employer le terme "patois" pour vous faire comprendre de votre interlocuteur, Alain Finkielkraut, comme le faisait Jaurès jadis (peut-être dans les salons parisiens ?). Mais l'utilisation de ce terme est piégée car dévalorisante. Elle rend, du coup, la question linguistique subalterne en France : non, ce ne sont pas des langues qui disparaissent, patrimoine de l'humanité, pertes culturelles graves (littérature écrite et orale), impact psychologique sur les populations, etc, mais des "patois" sans importance... Que parlait Jaurès, quand même. Et que dit ce terme "patois", sur la façon de voir les populations qui parlent des langues régionales ?
Christian Le Meut

Écrit par : Christian | 28/02/2006

patois et province ...
...deux termes largement utilisés par ceux qui sont dans le sacro saint centre de la république, au contraire de tous ceux qui s'efforcent de promouvoir un république ouverte et décentralisée qui les ont banni de leur vocabulaire, suivant ainsi l'appel d'andré malraux inaugurant la maison de la culture d'amiens en 1966 :
« Et, si vous le voulez, je vous dis que vous tentez une des plus belles choses qu’on ait tentées en France, parce qu’alors, avant dix ans, ce mot hideux de Province aura cessé d’exister en France ».
certes la majorité n'a guère integré cet appel... combien de temps attendre?

Écrit par : jean | 28/02/2006

Certes Monsieur Candar, beaucoup de gens n'ont pas d'intention péjorative avouée en employant le terme de patois. Il n'en reste pas moins que c'est un terme impropre pour désigner une langue humaine. D'ailleurs, ce terme est si peu adapté à l'humanité, et si représentatif de la vision franco-française de la diversité linguistique que les autres langues n'ont pas d'équivalent pour "patois" et ont dû se résigner à l'emprunter tel quel au français... pour décrire essentiellement la situation française.
Mais bon, Jaurès parlait bien ce que nous appelons communément aujourd'hui "occitan", et languedocien plus précisément, ce qui est la réalisation de l'occitan ou langue d'Oc dans sa région d'origine. Il emploie volontiers le terme de provençal en vogue à son époque, Félibrige oblige, Mistral ayant obtenu le prix Nobel en 1904. Pourtant Jaurès ne parle pas DES langues du Midi mais de LA langue du Midi, conscient qu'il était de l'unité de cette langue ... dans sa diversité. La citation ci-après est sans équivoque:

"J'ai le goût le plus vif pour la langue et pour les oeuvres de notre midi, du Limousin et du Rouergue au Languedoc et à la Provence. J'aime notre langue et j'aime la parler".
J. Jaurès, La Dépêche (27 septembre 1909)

Il y en a d'autres, où Jaurès parle du dialecte du Nord et du dialecte du Midi, toujours au singulier, ignorant d'ailleurs, par simplification, les "langues périphériques" comme le basque ou le breton.

C'est me semble-t-il, un contresens important sur la pensée de Jaurès, de lui faire distinguer languedocien et provençal, limousin, gascon ou auvergnat... comme des langues différentes. Il sait d'ailleurs que les gens n'ont pas toujours recours au français -qu'ils ignorent parfois- pour communiquer avec ceux qui viennent d'autres régions.
Il faut se replacer dans le contexte de l'époque et ne pas y plaquer la tendance française ancienne mais toujours actuelle à confondre unité et uniformité. Jean Jaurès cite expressément languedocien et provençal non pas pour les opposer ou les distinguer à tout prix, mais pour éviter d'une part le terme "patois" et d'autre part pour exemplifier les réalisations populaires de la "langue du Midi", et rendre ainsi son discours plus accessible, plus parlant. Car aucun pouvoir n'a appris au peuple à nommer cette langue. Il ne lui a fourni que le qualificatif de patois.

Le "mouvement occitan" d'aujourd'hui ne dit pas autre chose , n'en déplaise à certains milieux "provençalistes" . L'occitan ou langue d'Oc est une langue polymorphe qui fonctionne très bien avec ses variations régionales ... Vouloir séparer l'occitan en langues différentes est aussi artificiel et éloigné de la réalité que de penser un occitan uniformisé de Nice à Bordeaux et de Limoges à Montpellier.
La question primordiale n'est de toutes façons pas là. Elle est dans l'accès de la langue, dans toutes ses variétés, aux moyens modernes de communication , télévision en premier lieu, et de socialisation en général. Elle est dans le redressement de l'image de la langue que le matraquage du patois grossier et inutile a fortement marqué. Certains pays mettent en place des politiques démocratiques pour sauvegarder les langues de leur territoire, pour le bien de tous. Il ne s'agit pas là de réparer quoi que ce soit, il s'agit de cultiver la pluralité du monde et de donner accès aux populations à une des composantes de leur identité. En France, on se gargarise de préservation de la diversité linguistique du monde, et on donne aux gens, républicainement soi-disant, de 0 à 26 minutes hebdomadaires d'émissions télévisées en occitan... en attendant patiemment que la langue s'éteigne. Bof, quelques patois de moins ...
Paure Joan, t'an pas comprés ... e t'an pas escotat...

Écrit par : didier | 04/03/2006

Il y a dans "Comment peut-on être Breton ?", p100 (livre de poche), une citation de Jaurès (citation reprise d'un autre ouvrage mais dont j'ignore la première origine), et qui commence ainsi : Quand j'interrogeais les enfants basques jouant sur la plage de Saint-Jean de Luz, ils avaient le plus grand plaisir à me nommer dans leur langue le ciel, la mer, le sable, les parties du corps humain. ... L'esprit devient plus sensible à la beauté d'une langue par comparaison avec une autre langue, il saisit mieux le caractère propre de chacune, l'originalité de sa syntaxe, la logique intérieure ....... Ce qui est vrai du basque est vrai du breton. Ce serait une éducation de force et de souplesse pour les jeunes esprits...

Ce qui est révélateur en entendant l'émission de Finkielkraut, c'est la surprise et la gêne de ce dernier lorsque ses interlocuteurs lui apprenne que Jaurès avait un intérêt pour les autres langues du territoire français et qu'il souhaitait leur enseignement à l'école, alors que Finkielkraut venait justement de dire à peu près l'inverse (comme quoi certains se servent des auteurs pour leur faire dire ce qu'ils ont envie de leur faire dire, même si c'est l'inverse de la réalité).

Écrit par : Alwenn | 04/03/2006

Alwenn : merci pour votre citation du livre de Lebesque, en fait la référence y est : un article de la Revue de l'enseignement primaire, du 15 octobre 1911, cité pages 99 et 100 de l'édition de poche (Poche Points Actuels, ed. de septembre 1984).
Christian

Écrit par : christian | 04/03/2006

Ce n'est pas la première fois que l'on entend ce genre de propos sur les langues régionales sur les ondes de Radio France qui est un bastion du jacobinisme...
Sur les langues régionales, je ne comprends plus cette psychose française, cette peur de l'implosion du pays si, jamais, il advenait que l'on donne un tout petit peu de reconnaissance aux langues régionales... Alors que tous nos voisins, qui sont à la quasi totalité des pays plus jeunes que nous (des démocraties très récentes même, dans le cas de l'Espagne, mais aussi de l'Italie et de l'Allemagne), reconnaissent tous leurs langues régionales.
Nous sommes devenus l'un des pays les moins démocratiques d'Europe. Et l'un des plus peureux : la France a peur de ses langues régionales comme elle a peur de la mondialisation, peur de la constitution européenne, peur des Allemands, peur des Américains, peur des Turcs en Europe, peur des immigrés en France, peur de la Chine... Peur du monde entier. Le pouvoir, en France, oppose aux revendications régionalistes la notion de repli identitaire... Qui est en plein repli identitaire ? On se le demande...

Écrit par : breizhblog-journal | 04/03/2006

Merci pour la belle citation "Quand j'interrogeais les enfants basques..." Jaurès dit là de façon simple et lumineuse ce que la plupart des linguistes disent aujourd'hui. Jaurès: un siècle d'avance !

D'autre part, celà interesserait sûrement M. Finkielkraut de savoir que l'occitan a été également utilisé par écrit dans certains documents de la propagande électorale de Jaurès. Propagande, d'ailleurs, dans le style de l'époque ... avec des arguments de choc ! ...


EXTRAIT D'UNE FEUILLE DE PROPAGANDE ELECTORALE LORS DE LA PREMIERE CAMPAGNE DE JAURES (1885).

Als electors de la comuna de Santa Gemma
M. Jaurés es pro conegut dins lo país; malgrat que n'aja que 26 ans, es un orator distingat; tot lo monde ne parla de las conferenças que a fachas. Es un òme que pòt rendre belcòp de servicis: es lo nebot de l'amiral Jaurés, un dels pus fòrts militaris de la marina que avèm en França, un òme que a renduts e que rend belcòp de servicis. Donc, sèm sigurs que son nebot seguirà sas traças.


"orthographe" d'origine
As électous de la coumuno de Santo-Gemmo

M. Jaurès es prou counégut dins lou pays ; malgré qué n'axo qué 26 ans, es un ouratur distinguat ; tout lou moundé né parlo dé las counférenços qué a faxos. Es un hommé qué pot rendré bel cop de serbicis : es lou nébout dé l'amiral JAURES, un des pus forts militaris dé la marino qué aben en Franço, un hommé que a renduts et qué rend bel cop dé serbicis. Dounc, sen sigurs qué soun nébout seguira sas traços.

traduction:
Aux électeurs de la commune de Sainte Gemme
M. Jaurès est bien connu dans le pays; malgré ses 26 ans, c'est un orateur distingué; tous parlent des conférences qu'il a données. C'est un homme qui peut rendre beaucoup de services: c'est le neveu de l'amiral Jaurès, un des plus grands militaires de marine que nous ayons en France, un homme qui a rendu et qui rend [encore] de nombreux services. Nous sommes donc sûrs que son neveu suivra ses traces.

Écrit par : didier | 05/03/2006

Débat intéressant auquel le temps me manque malheureusement pour vraiment participer. Je crois utile de redire que beaucoup d'avis s'enflamment sur une écoute rapide de l'émission, ce qui est normal, les participants eux aussi parlent rapidement ! L'interlocuteur qui a employé le mot patois (JP Rioux) était aussi le seul autour de la table à le connaître et à le parler. Il emploie ce mot parce que c'est celui de sa génération (un peu plus de 60 ans...) et qu'il ne voit pas pourquoi il y renoncerait, meme si bien sûr l'emploi des mots évolue. Si Jaurès n'opposait pas languedocien et provençal, il n'opposait pas non plus au français lla ou les "langue(s) du Midi" (on trouve le singulier comme le pluriel chez lui, un peu plus souvent le pluriel m'a-t-il semblé, et le singulier renvoie à la langue précise qu'il parle à Castres ou dans l'Albigeois, mais je n'ai pas fait de statistiques) et il y a de beaux textes en défense de Paris, quelques articles amusants et un peu moqueurs sur les théoriciens et intellectuels régionalistes (Choses de Paris, 1898). Il aurait plus penché du côté du languedocien populaire que du languedocien savant me semble-t-il. On peut bien sûr (c'est là que je veux en venir) trouver des articles ou études sur la qeustion avec des points de vues sensiblement différents : Rémy Pech, Ulrike Brummert par exemple, qui ont ma préférence, mais je signale aux internautes les plus "militants" le travail de Jordi Blanc, auteur d'un Jaurés e occitania édité par Vent Terral désormais 81340 Valence d'Albigeois qui devrait les passionner... Débats à continuer.... En attendant, salut et fraternité à tous et à bas le CPE,
Gilles Candar

Écrit par : gilles candar | 20/03/2006

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