04/01/2006
3000 langues en moins en2100...
3000 langues en moins en 2100 : c'est Le Monde qui l'annonce dans son édition du 31 décembre, histoire de nous donner du "begon" pour l'année qui vient ! La linguiste Colette Grinevald, chercheur au laboratoire dynamique du langage de l'Institut des sciences de l'homme Lyon-II, est interviewée. Spécialiste du monde amérindien, elle a aidé l'Unesco à définir les critères de vitalité des langues. Extraits.
"Le Monde : Le rythme de disparition s'accélère. D'ici un siècle, la moitié des langues parlées actuellement dans le monde auront disparu. C'est une estimation basse. En Australie et sur le continent américain, cette proportion sera bien plus élevée, de l'ordre de 90 %.
Avant l'arrivée des Blancs, 300 langues étaient parlées dans ce que sont aujourd'hui les Etats-Unis. En 1992, il n'y en avait déjà plus que 175 utilisées par au moins une personne. On estime que cinq seulement auront survécu à la fin du XXIe siècle. Même l'avenir du navajo est incertain, et pourtant c'est aux Etats-Unis la langue indigène qui a le plus de locuteurs, environ 120 000. Elle est de moins en moins apprise par les enfants.
Pourquoi cette accélération ?
La globalisation économique entraîne un exode rural des populations indigènes. Elles se perdent dans les villes et ne peuvent perpétuer leurs traditions et leur modèle familial. Dans le monde amérindien, les parents sont persuadés que parler une langue indienne est un handicap pour avoir un travail. Cette pression est aussi psychologique sur fond d'idéologie encore dominante du bienfait du monolinguisme dans un Etat-nation. Certains "monolingues" voient dans le multilinguisme un signe de division des capacités intellectuelles.
Quelles langues risquent de disparaître ?
Une langue est menacée, selon les linguistes, si elle n'a plus de locuteurs d'ici la fin du XXIe siècle. C'est le cas d'une centaine de langues en Europe et autant en Amérique du Sud, selon l'Atlas publié par l'Unesco. Le breton, le franco-provençal ou le poitevin saintongeais sont ainsi "sérieusement en danger". Parfois, une langue paraît vivace car elle est utilisée par des millions de locuteurs, comme les langues quechua en Amérique du Sud. Mais celles-ci sont déjà, dans certaines régions en Equateur et au Pérou, comme des morts-vivants : aucune personne de moins de 20 ans ne les apprend ou ne veut les parler.
Quelles seront les conséquences ?
De nombreuses connaissances captées par ces langues vont se perdre. Comme les propriétés des plantes vénéneuses en Amazonie ou celles qui peuvent avoir un intérêt dans la pharmacopée. Les langues apportent également une ouverture d'esprit. Elles permettent de voir différemment le monde et de montrer les facettes les plus diverses du génie humain. Au Guatemala, par exemple, je travaille sur le popti', en péril, qui classifie tous les objets par la matière dont ils sont faits.
Que dire des répercussions sociologiques...
Cela peut créer de réels problèmes identitaires. La langue permet de s'ancrer dans une histoire, un lieu. Beaucoup d'Amérindiens ont dû renier leur langue maternelle au profit de l'anglais ou de l'espagnol. Cela crée ce qu'on appelle de l'anomie, un entre-deux linguistique et culturel, où aucune des deux langues n'est maîtrisée. Cette situation peut devenir source de violence et entraîne chez les Amérindiens diverses formes d'autodestruction, comme l'alcoolisme et le suicide. J'ai observé le même phénomène aux Etats-Unis chez de jeunes Mexicains et Portoricains. Je reconnais parfois en France ce même type de malaise chez certains étudiants maghrébins qui ne connaissent pas l'arabe et chez des sourds qui revendiquent la langue des signes sans dominer le français écrit. On apprend mieux toute autre langue si on peut être fier et bien ancré au départ dans la sienne.
Quel rôle joue Internet ?
Un rôle double, tout à la fois poison et antidote, facteur d'uniformisation mais aussi de diversité. Il existe par exemple de plus en plus de sites Internet de langues amérindiennes gérés par des Indiens, pour des Indiens. Au Guatemala, une collègue linguiste a passé plus de dix ans à former des Mayas qui sont devenus linguistes et s'occupent d'un site en espagnol et plusieurs langues mayas. Leur travail prolonge le combat de Rigoberta Menchu (Prix Nobel de la Paix en 1992) qui a permis une reconnaissance officielle des 28 langues mayas.
Quelles seront les langues majoritaires à la fin du siècle ?
L'anglais bien sûr, l'espagnol, à cause de l'Amérique du Sud, l'arabe, puis des langues d'Asie, comme le chinois et l'hindi. Sur le continent africain, le swahili, le wolof sont en plein essor et avalent les langues de la région.
(...)
Où en sera le français à la fin du siècle ?
Le français ira bien, mais les Français devront parler plusieurs langues. Regardez le Danemark, où la moitié du cursus universitaire se fait en anglais : il n'y a pas de confusion, les Danois parlent danois entre eux et utilisent l'anglais car personne d'autre dans le monde ne parle leur langue. Le multilinguisme est parfaitement à la portée de l'intellect humain. Les enfants sont tous capables d'apprendre trois ou quatre langues.
Propos recueillis par Laure Belot et Hervé Morin
Sur internet
www.teluq.uquebec.ca/diverscite/entree.htm
Langues mayas : www.okma.org/
10:31 Publié dans Brezhoneg/Langue bretonne, Etrebroadel/International, Gwirioù mab den/droits de l'être humain | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Langue française
Commentaires
Encore un cri d'alarme contre les atteintes à la biodiversité. Et l'on voit combien les chercheurs, pourtant financés par les gouvernements, peinent à convaincre ces mêmes gouvernements dès lors qu'il faut changer de point de vue sur le fond. Du coup pour le lecteur de presse (ou de blog), on passe d'un cri d'alarme à un autre, d'une cassandre à un autre prophète de malheur, on baisse la tête et on continue à s'abrutir pour essayer de s'enrichir ou juste de s'en sortir.
Les langues meurent comme nous. En ce moment elles meurent plus vite que d'habitude et on se sent dans un monde qui se désertifie. D'autres langues naissent et on ne s'en rend pas compte, jusqu'à ce qu'on n'arrive plus à échanger avec ses enfants ou avec ses anciens amis parcequ'ils causent une autre langue. Mais quand on n'a personne à qui parler, on perd aussi sa propre langue.
Certains n'ont même plus de voix.
Je crois que l'important quand on apprend le breton, n'est pas de sauver une langue en voie d'extinction, mais de trouver des interlocuteurs à l'autre bout de la mutation. Peut-être même retrouver des amis, et sa propre voix.
Écrit par : Yves Pérennou | 04/01/2006
Salut Yves : certes, les langues meurent (comme le latin, par exemple), mais il est des morts naturelles et des morts qui ne le sont pas. Si autant de langues disparaissent, ou risquent de la faire, actuellement, c'est à cause de choix politiques de les étouffer, plus ou moin vite. Et celà vaut pour le breton.
Il est vrai que l'apprentissage d'une langue, quelle qu'elle soit, mais d'autant plus quand il s'agit de la langue familiale, de la langue maternelle des grands parents, procure beaucoup de plaisirs, de connaissances aussi. Des déceptions parfois également.
Joa dit !
Écrit par : christian | 05/01/2006
Pensez-vous réellement que l'anglais deviennent une langue universitaire en France pour les élèves français?
Écrit par : Le Chinois | 10/01/2006
L'anglais est enseigné à l'université mais le français reste la langue universitaire en France. A cette exception près : dans la recherche (universitaire et autre) l'anglais est une langue très utilisé, notamment pour la rédaction d'articles.
Pouvez-vous préciser votre question ?
Écrit par : Christian | 10/01/2006
Je ne pense que ce pessimisme soit réel...
Peu de langues meurent ou presque pas!
Les dialectes se regroupent. oui!
Le français reste 3e ou 4e langue universelle, à nous de la défendre et de la propager! bec et ongles, dans nos 43 pays DIT francophones
caramba
Carambita
@+
El Greco qui vs invite à voyager sur son site et donner une réplique à La dame du Bougainvillée
http://rachedelgreco.blogspirit.com/
Écrit par : EL GRECO | 23/04/2006
Le français ne fait pas partie des langues menacées mais il y en a plusieurs en France qui le sont, notamment la langue bretonne, à court terme (dans les 50 années qui viennent).
Christian
Écrit par : christian | 24/04/2006
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