19/08/2005
Les prolos*
Attention messieurs dames, écoutez bien : je vais vous livrer un scoop, une information extraordinaire : il y aura bientôt une émission intéressante à la télévision ! Je répète : il y aura bientôt une émission intéressante à la télévision ! Oui, je sais, vous trouvez ça incroyable, impossible, mais si, je vous l’assure, ce n’est pas de la science fiction, juste un petit miracle. Bon, évidemment, je modère tout de suite votre enthousiasme, elle va être diffusée à 22h50. C’est évident, il ne faudrait pas risquer que des enfants ou des personnes trop sensibles là voient, le manque d’habitude risquerait de les traumatiser... Évidemment, elle ne passera pas sur la une, mais sur la deux, comme quoi le service public ne fait pas que suivre les chaînes commerciales et peut avoir une programmation différente... Mais pas avant 22h50. Faut pas exagérer.
Il se trouve que j’ai vu au cinéma le documentaire qui va passer bientôt. Il est intitulé Les Prolos. Le réalisateur, Marcel Trillat, un journaliste chevronné, est allé à la rencontre du monde ouvrier. Et oui, de plans sociaux en délocalisations, on finissait par croire qu’il avait disparu, le monde ouvrier. Or il y a encore six millions d’ouvriers et d’ouvrières à se rendre chaque jour au travail en France. Et Marcel Trillat les a suivis dans six entreprises. Dans de grosses entreprises, comme Renault, où le syndicalisme est une culture d’entreprise, dans de plus petites entreprises comme celle établie en Isère où aucun syndicat ne s’est jamais implanté.
Queen Mary : bateau pour riches construit par des pauvres...
On découvre même, dans une autre boîte, un syndicat CGT qui travaille main dans la main avec le directeur pour améliorer la rentabilité, ce qui a permis d’éviter le démantèlement d’un des services destiné à être livré à la sous-traitance. Délégué syndical et directeur sont allés ensemble rencontrer les actionnaires de la multinationale propriétaire et ont réussi à les convaincre d’éviter de vendre ce service. Pari gagné pour cette fois, mais sans illusion: on voit bien que le directeur comme l’entreprise peuvent être délocalisés d’un jour sur l’autre...
Et puis Marcel Trillat et son équipe sont venus en Bretagne, plus précisément à St Nazaire, aux chantiers de l’Atlantique qui fabriquent le Queen Mary. Là, interdiction de filmer, les scènes sont donc en caméra cachées. On découvre des conditions de travail dignes de Germinal : des ouvriers soudeur qui étouffent, sans masque dans des endroits confinés, des ouvriers sous-payés, des toilettes qui ne méritent pas ce nom... Tout tient en un mot : sous-traitance, voir sous-sous traitance, et main d’oeuvre étrangère. Ici, les corporations ne se connaissent pas mais se tirent la bourre pour suivre les plannings. Les ouvriers ne se connaissent pas car travaillant dans des entreprises différentes, voire en intérim.
La course poursuite du cégétiste
On suit même un délégué syndical qui a pris en chasse un camionnette dans laquelle sont montés des ouvriers étrangers, pris en charge complètement par leurs employeurs : logés, nourris, encadrés... Ces ouvriers sont moins payés que ne le seraient des ouvriers français, ce qui est illégal... mais le travail syndical est compliqué par le fait que le monde ouvrier est ainsi atomisé par la sous-traitance et le recours à une main d’oeuvre qui accepte des conditions de travail illégales. Certains se rebiffent toutefois, et font grève, comme cela a été le cas à Saint Nazaire... Le Queen Mary, fabriqué à St Nazaire, sillonnent les mers désormais, avec sa clientèle de passagers fortunés. Marcel Trillat a montré l’envers du décor.
Et il emmène aussi ses spectateurs dans les rues de Paris ou des salariés, d’origine étrangère, sillonnent les rues la nuit en mobylette pour aller sortir les poubelles, et les ranger une fois que sont passées les ramasseurs. Un peu partout, les syndics ont supprimé les concierges et ce sont donc ces coursiers qui les remplacent. Celui qui est filmé avait eu un contrat de travail de quinze heures par jour, sans congés hebdomadaires... Après quelques mois, et quelques accidents, ll a avisé l’inspecteur du travail qui a fait... son travail, et a débarqué chez l’employeur. Le contrat a été saisi, et rectifié.
Il y aurait donc encore des freins à l’esclavagisme moderne ?
Christian Le Meut
* Chronique diffusée en 2003 sur Radio Bro Gwened
Commentaires
L'émission est à 22 h 50 mais de quel jour.
J'ai aperçu une annonce sur France 2 je crois en cours de diffusion. Etait-ce une bande annonce de reportage pour un film documentaire ou pour une prochaine émission télévisée.
En tout cas, cela m'intéresse car j'ai eu à loger une dizaine de ces nouveaux esclaves et je m'étonne que cet inspecteur du travail ait fait son travail parce lorsque j'ai appelé l'Inspection pour dire ce que je savait, il m'a été répondu : officiellement, on n'est pas au courant...
C'ezt inadmissible, ces gens payés 150 €uros par mois pour travailler 60 heures par semaine, sans congés payés, ni contrat de travail, ni couverture sociale.
Lorsque mes gars étaient accidentés, je disais au patron que j'allais les emmener chez le médeçin. Aussitot le patron débarquait pour emmener le gars à l'hosto... aux frais de qui , ... Ben, nous ! J'ai vu la femme du patron distribuer 2 comprimés d'antibiotiques à chacun des ouvriers pendant l'épidémie de grippe !!
Les gars galéraient ; j'en ai même connu -pas chez moi- qui dormaient en trois/huit dans des bungalows pas chauffés...
Chez moi, il y avait des siciliens et je peux vous assurer que tout cela se faisait avec la bénéfiction de la Direction des Chantiers.
Et puis, j'ai plein de choses à dire mais bon.... Je suis écoeurée.
Marie
Écrit par : piveteau | 08/09/2005
J'indique en fin dela chronique que celle-ci date de 2003, lorsque le reportage de Marcel Trillat a été diffusé en salle et à la télé. Je vous suggère d'essayer de contacter ce journaliste par le biais de France 2, en espérant qu'il est toujours en activité. Son travail était vraiment remarquable, et montrait des choses très proches de ce que vous dites.
Christian
Écrit par : Christian | 10/09/2005
S'il s'agit de l'émission de 2003 , je l'ai vue ; bien sur je ne l'aurais manquée pour rien au monde.
J'ai d'ailleurs participé à l'émission de Valérie Cantié diffusée sur France Inter "Les Naufragés du Quenn Mary".
Mais il faut absolument savoir que tout cela continue et se GE NE RA LI SE.... Et tout le monde ferme les yeux à commencer par ceux qui ont en charge l'ordre public et le respect des lois... Alors ?
Hier soir, j'ai prêté mes locaux pour une "veillée d'art". Deux auteurs sont venus commenter leurs bouquins et la discussion avec le public a dérivé sur l'exploitation de la main d'oeuvre dans les pays en voie de développement et sur bien d'autres sujets concernant leurs conditions de vie.
Mais on a largement dépassé cela puisque nous en sommes rendus à les "enlever" (je pense que le mot n'est pas trop fort) de manière à en faire ici, sur une terre que l'on dit "d'asile" ni plus ni moins que des esclaves.
J'ai fait partie de l'Association Nantaise "Les anneaux de la Mémoire" ; Nantes et la Loire-Atlantique se sont donné bonne conscience en s'associant à ce travail de mémoire. Mais enfin quelle hypocrisie !
Scholcher si tu voyais ce qu'ils ont fait.
Écrit par : piveteau | 11/09/2005
Je n etais pas au courant de ce que je viens de lire.
Me semblait que ce navire avait été construit dans un chantier et que les personnes avaient été bien payer car vu l'empleur du bateau.
Si cela est vrai ce que vous avancez,et bien ,je trouve ça écoeurrant d agir ainsi avec le pauvre monde.
Pensez-vous que cela vas etre visionnez au Canada et quand cela passeras t il?
Merci!
Écrit par : Gisele | 02/10/2005
Gisèle : le documentaire dont je parle ici a été diffusé en 2003, je ne sais pas s'il le sera à nouveau. Vous pouvez peut-être entrer en contact avec le journaliste qui l'a réalisé, Marcel Trillat (passez par Google). Le documentaire montre bien la différence de traitement entre les ouvriers employés directement par les chantiers navals, et aux conditions de travail correctes, et les employés des entreprises sous-traitantes, d'origine souvent étrangère, et aux conditions de travail précaires, voire dangereuses. Il y a eu depuis plusieurs grèves d'ouvriers étrangers (Grecs, Polonais...) non payés depuis des mois, auxquels on avait pris leurs passeports, etc.
Les pauvres trinquent pour que les riches puissent aller se pavaner sur les océans.
Christian
Christian
Écrit par : christian | 02/10/2005
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