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04/04/2005

Je fais un rêve*

Un soir de mai 2010. Je rentre de mon travail, comme d’habitude, vers 22 h. J’ai une demi-heure de route et j’écoute la radio : en breton. Depuis fin 2005 je peux écouter une radio en langue bretonne 24 h sur 24 h. Grâce au soutien du conseil régional, passé à gauche en mars 2003, une chaîne de radio émet désormais toute la journée dans cette langue sur les cinq départements de la Bretagne historique...

Avant : impossible d’écouter une émission en breton quand je rentrais du boulot. La seule radio associative bilingue du département n’émettait plus que de la musique. Quant à la seule radio publique (très) partiellement en breton (France Bleu Breizh Izel à Quimper), elle cessait ses émissions dans cette langue à 21h... Aujourd’hui, France Bleue est réellement bilingue, moitié des programmes en breton, moitié en français. Quant à ma radio bilingue préférée, Radio Bro Gwened (“Radio Pays vannetais”, associative), elle a vu les aides de la région et du département augmenter, et ses programmes en breton se développer.

Même à la télé, les choses ont fini par évoluer. Jadis : une heure dominicale sur F3 plus cinq minutes quotidiennes durant la semaine et une émission pour les enfants le mercredi, soit environ 1h30 de breton par semaine ! Aujourd’hui : six heures de programmes par jour ! Reportages, interviews, talk-shows (comme on dit en français), émissions de variétés, dessins animés, journaux, jeux débiles et d’autres moins débiles.

La presse écrite a suivi : une page désormais chaque jour breton dans le quotidien Le Télégramme et autant dans le concurrent Ouest-France. Un hebdomadaire, Ya !, (“Oui !), lancé en 2005, a réussi à s’implanter, plusieurs mensuels en breton existent, généralistes ou spécialisés, ainsi qu’une presse pour jeune... L’offre s’est diversifiée, et cela incite les jeunes bretonnants à lire en breton : ils sont 20.000 actuellement, en filière bilingues ou Diwan (immersion en breton avec introduction du français progressive) de la maternelle au lycée, contre 9.000 en 2004. Ces filières se développent, incitant les communes à développer des animations en bretons pour les enfants : contes, danses, chants, jeux...

Une matière “langue bretonne et civilisation celtique” est désormais suivie par tous les enfants des collèges, publics et privés, à partir de la cinquième, sur le modèle de ce qui se fait en latin. Les petits Le Meut, Le Fur, Le Corvec, habitant Concarneau (Konk Kerne), Auray (An Alré), ou Carhaix (Karaez), apprennent désormais l’histoire de leur région et peuvent chercher à comprendre ce que signifient leurs noms de familles... Les élèves qui veulent continuer cette matière le peuvent systématiquement. Jusqu’à récemment, la majorité des collèges ne proposaient même pas une heure de breton en option.

Du coup, l’offre d’emplois en breton se développe dans l’animation, l’édition, les médias, l’enseignement, les maisons de retraite (pour accompagner certains anciens dans leur langue maternelle)... Quand une langue n’a plus d’intérêt économique (pour trouver du travail par exemple), elle est vite abandonnée par ses locuteurs.

Arrivant de mon travail, je trouve un message de mon petit cousin Kaourintiñ (Corentin). Il cherche un mot en breton et m’a laissé un message sur mon répondeur bilingue. Il s’adresse à moi car je suis un des rares dans la famille à pouvoir lui répondre, ayant appris le breton une fois adulte. Dans ma génération, je suis quasiment le seul à parler la langue. Mes quatre grands parents, pourtant, avaient le breton pour langue maternelle. Mais ils avaient bien intégré l’interdiction de transmettre le breton à leurs enfants. Mon père, ainsi, entendait ses parents parler en breton entre eux lors des repas mais n’avait le droit de s’adresser à eux qu’en français...

Mes quatre grands parents étaient donc bilingues. Mes parents ne le sont pas, même s’ils savent beaucoup de choses en breton pour l’avoir entendu parlé. Et ma génération est unilingue. C’est sans doute ça le progrès...

L’élection de Jack Lang à la présidence de la République, en 2007, a aussi permis des avancées de taille. Ministre de l’Education nationale sous le gouvernement Jospin, il avait tenté d’intégrer les écoles Diwan dans l’Education nationale. Le Conseil d’Etat avait fait capoter cette tentative. Diwan pratique la pédagogie par immersion en breton et introduit progressivement le français ensuite. Selon le Conseil d’Etat cette pédagogie était illégale. De fait, toutes les écoles bilingues de France, étaient quasiment illégales. Toutes les matières, exceptées les langues, devant être enseignées en français...

Le changement de Constitution demandée par Jack Lang a permis de faire une place aux “langues de France”, à côté du français. La Charte européenne des langues minoritaires, signée en 1999 par Jospin, a enfin pu être ratifiée. A l’époque, le conseil Constitutionnel, consulté par Jacques Chirac, avait déclaré cette signature incompatible avec la Constitution. Désormais officiel en Bretagne, le breton peut être employé dans les débats des conseils départementaux et régionaux, la traduction simultanée étant assurée. Les textes officiels peuvent être rédigés dans les deux langues. La République renoue ainsi avec les révolutionnaires puisqu’en 1790 la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen avait été traduite en quatre langues “régionales”, dont le breton.

Christian Le Meut

* Article paru dans la revue Alternatives Non-Violentes (centre 308, 82 rue Jeanne d'Arc, 76000 Rouen), revue trimestrielle de recherche sur la non-violence qui publie, dans chaque numéro, un "rêve" sur le modèle de celui de Martin Luther King. Mail : anv.revue@wanadoo.fr
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